Journal de Thérapie
Comportementale et Cognitive.
Paris : Elsevier Masson, 2007, 16(1), p. 1-5.
Université de Louvain-la-Neuve
68 rue des Pâquerettes, B-1030 Bruxelles,
Belgique
« Pour mesurer la
finesse ou la débilité constitutionnelle des esprits les plus judicieux, il
suffit de prendre garde à leur façon de comprendre et de reproduire les
opinions de leurs adversaires : là se trahit l'envergure naturelle de
chaque esprit. »
Friedrich
Nietzsche (1881, § 431)
« Ce qu’un homme stupide rapporte de ce qu’a dit un homme intelligent n’est jamais fidèle, parce qu’il traduit inconsciemment ce qu’il a entendu en une chose qu’il est capable de comprendre. »
Bertrand Russell
(1945/2005, p. 90)
Quand vous citez une phrase comme
« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque
chose !... », la source et la littéralité de votre citation importent
peu. Il n’est guère important que vous l’attribuiez à Francis Bacon [1] ou
que vous écriviez : « Phrase par laquelle se résume la fameuse tirade
de Basile dans Le Barbier de Séville »
[2]. Par
contre, si vous utilisez une citation pour attenter à la réputation d’un homme,
vous devez en vérifier l’exactitude, préciser son contexte et surtout ne pas
manipuler sa signification. Si vous mettez des guillemets à votre citation,
vous faites savoir qu’elle est littérale, que vous n’avez pas modifié un seul
mot. Si vous écrivez pour une publication de niveau universitaire, vous êtes
tenu, en outre, de fournir l’endroit précis où vous avez trouvé ce que vous
citez (à telle page de tel livre, publié telle année) de sorte que le lecteur
puisse facilement retrouver le passage, voir le contexte et juger de la
pertinence du « découpage ». On peut regretter que, dans les
publications destinées au grand public, cette dernière règle ne soit quasi
jamais appliquée.
… et de calomnier
Jacques-Alain
Miller, directeur du département de
psychanalyse de l’université Paris VIII, donne l’exemple par excellence de l’utilisation d’une pseudo-citation
pour discréditer un homme et, à travers lui, tout un courant de pensée. Pour
trouver cet exemple, il suffit de taper dans Google : Jacques-Alain Miller Skinner freedom. Vous tombez alors sur
plusieurs textes signés par Miller,
dans lesquels celui-ci utilise une même citation de Skinner. Ainsi, dans son
article : « Le marché du mental. Autodialogue imaginaire sur la vraie
question des thérapies comportementales », paru le 28.9.05 dans Libération, vous pouvez lire :
« Le
comportementalisme, c'est d'abord Watson : ne nous occupons pas des pensées que
les gens ont dans la tête, mais de la façon dont ils se comportent. Des faits,
non des suppositions. Des observations, non des conjectures. C'est ensuite
Pavlov, et son fameux “conditionnement” du chien : celui-ci bave devant la
nourriture ; on associe une sonnerie à la présentation de sa pitance ; troisième
temps, il suffira désormais de la sonnerie pour qu'il bave. Le troisième génie,
Skinner, dresse rats et pigeons dans les années 30 : il les dresse en les
récompensant quand leur comportement est celui que l'on attend d'eux. De là, il
passe au dressage humain. Walden Two est l'utopie d'une communauté
comportementaliste, gérée par des managers, eux-mêmes aux ordres d'invisibles
planners, planificateurs tirant les ficelles de leurs marionnettes pour leur
plus grand bien, et dès le plus jeune âge. “We can't afford freedom”, disait
Skinner, “nous ne pouvons nous payer le luxe d'être libres.” »
Sur un autre site, on trouve une précision quant à la
source de cette citation. Miller a déclaré, dans l’émission « Les matins de France
Culture » du 17 mai 2005, retranscrite dans Le Forum des psys :
« Dans les années 50, on
portait beaucoup d’espoir dans ce comportementalisme et ça a disparu. Ça a été
éliminé de beaucoup d’universités, de partout parce qu’on a considéré que
c’était des atteintes aux Droits de l’Homme [sic !], que on ne pouvait pas
essayer de guérir les êtres humains selon les méthodes appliquées aux rats de
laboratoire. Et c’est pourtant ce que pensait Skinner qui est un savant. Mais
j’ai devant moi par exemple la couverture de “Time Magazine” de septembre 1971.
Je me souvenais de l’avoir lu. J’ai demandé à un ami américain de me le
retrouver. Il me l’a envoyé. Je l’ai déchargé de l’ordinateur juste avant de
venir. Et alors c’est une couverture qu’on peut d’ailleurs se procurer dans un
cadre. Je vais en faire venir. B. F. Skinner says : “We Can’t Afford Freedom”. “Nous
ne pouvons pas nous payer le luxe d’être libre.” »
En réalité, ce n’est pas Skinner
qui a écrit cette phrase, c’est un journaliste. Lui-même et sa fille Julie
(voir par exemple Vargas, 2004, p. 139) l’ont dit et redit. Cette phrase se
trouve, avec une caricature de Skinner, sur la couverture du numéro du 20
septembre 1971 du magazine Time, dont
par bonheur je possède un exemplaire. Ce numéro contenait un dossier sur
l’œuvre de Skinner à l’occasion de la sortie de son livre Beyond freedom and dignity (1971).
L’article comptait sept pages et était intitulé : « Skinner’s
Utopia : Panacea, or Path to Hell ? » Sur la couverture du Time, la phrase sur la liberté se trouve
sans guillemets, contrairement à
ce que serait une véritable citation. N’empêche, dans la bouche et sous la
plume de Miller, grand lettré et fin manipulateur, c’est une
« citation » et c’est même la citation qui résume toute la pensée,
non seulement de Skinner mais de toutes les thérapies
cognitivo-comportementales depuis leur apparition jusqu’aujourd’hui. Miller
sait probablement que Skinner n’a pas écrit cette phrase, que ce n’est qu’une
formule journalistique destinée à accrocher le lecteur, mais qu’importe,
l’essentiel est de faire croire aux Français qui n’ont pas lu l’œuvre de
Skinner dans le texte, c’est-à-dire
quasi tous les Français, que la phrase a été écrite par Skinner et qu’elle
résume la conception « comportementale » de l’Homme.
Si Miller avait trouvé l’article
du New York Time Magazine sur
Skinner, paru trois ans plus tôt (en 1968), il aurait pu ajouter quelques
autres « citations » tout aussi malveillantes. Voici ce qu’écrivait
Skinner au sujet de cet article et des « citations » qui s’y trouvent :
« Un journaliste appelé Rice est venu me voir. Il disait que le NYTM lui
avait demandé de faire un article sur le behaviorisme. Il ne savait rien du
sujet, mais c’était précisément ce que voulait le magazine […] Le texte fut un
choc. Rice n’avait pas été un élève doué. […] Des citations avaient été
fabriquées. J’étais censé avoir dit que l’école de ma fille “ruinait les
esprits” (“ruining minds”). Bien
pire : j’étais présenté comme un vaniteux imbécile (“conceited ass”). Il a intitulé son article “Skinner estime qu’il
est l’homme le plus important de la psychologie.” (Il m’avait demandé si le
behaviorisme était encore à la pointe dans différents secteurs de la
psychologie et j’avais répondu en lui montrant un classement par ordre
d’importance des psychologues contemporains, réalisé par 89 présidents de
départements ; j’y occupais la première place et Neal Miller la troisième)
[3]. Il écrivait que je me considérais moi-même “comme un événement dans l’histoire
de l’humanité.” (Il avait assisté à mon séminaire sur le comportement verbal le
jour où je parlais de l’individualité et où j’avais développé l’idée que chacun est un événement unique dans
l’histoire des espèces. » (1983, p. 298, souligné par Skinner).
Revenons à l’article du Time. Après avoir mentionné que
« Skinner est le plus important des psychologues américains en vie »
(p. 47), l’auteur de l’article (non signé) rendait pas mal compte des réponses
de Skinner à deux problèmes concernant la liberté.
Skinner
veut faire de la psychologie scientifique. Il est donc déterministe. Il part du
principe que tout phénomène procède d’une ou de plusieurs causes et que le
travail du scientifique est d’établir les conditions d’apparition ou de
disparition de phénomènes. En cela, il est pleinement en accord avec
Freud : « La grande contribution de Freud à la pensée occidentale,
écrit Skinner, a été d’appliquer le principe de cause à effet au comportement
humain. Freud a démontré que beaucoup de caractéristiques du comportement
inexpliquées jusqu’à présent — souvent délaissées comme désespérément
compliquées ou obscures — peuvent se comprendre comme le produit de
circonstances de l’histoire de l’individu. » (1954, p. 185)
Rappelons toutefois que, pour Freud,
l’homme est radicalement aliéné,
qu’il est le jouet de forces dont il ignore quasi tout. Freud pense que cette
conception est une des principales sources de résistance à sa doctrine :
« Deux obstacles s'opposent
à la reconnaissance des cheminements de pensée psychanalytiques :
premièrement, ne pas avoir l'habitude de compter avec le déterminisme,
rigoureux et valable sans exception, de la vie animique, et deuxièmement, ne
pas connaître les particularités par lesquelles les processus animiques inconscients
se différencient des processus conscients qui nous sont familiers. »
(1910, trad., p. 52) La position des psychanalystes d’aujourd’hui n’a
guère changé sur ce point. Mme Roudinesco a beau écrire, de façon
sybilline : « Le sujet freudien est un sujet libre, doué de raison,
mais dont la raison vacille à l'intérieur d'elle-même. [...] Freud a fait de la
sexualité et de l'inconscient le fondement de l'expérience subjective de la
liberté » (1999, p. 82 et 88), elle affirme de façon catégorique, quelques
pages plus loin : « La famille est — nous le savons grâce à la
psychanalyse — à l'origine de toutes
les formes de pathologies psychiques : psychoses, perversions, névroses,
etc. » (id., p. 167, je souligne).
Faut-il rappeler que, pour le
comportementaliste, les diverses formes de pathologies psychiques ont des
origines variées ? Les contingences familiales sont certes importantes,
mais bien d’autres entrent en ligne de compte : la programmation
génétique, l’hérédité, la situation socio-économique, une large diversité de
rencontres et d’interactions passées, l’environnement physique et relationnel
de la situation présente, le fonctionnement physiologique…
La conception freudienne du déterminisme
aboutit au pessimisme en matière de thérapie et de développement personnel.
Seuls les rares privilégiés, qui peuvent se payer une longue « cure de
parole », deviendraient clairvoyants quant aux mécanismes de l'Inconscient
et pourraient se libérer de certains automatismes aliénants. Pour Skinner, tout
déterministe qu’il soit, chaque être humain peut apprendre à mieux gérer ses
propres conduites, de manière à réaliser une partie des objectifs qu’il s’est
choisi : « Dans une large mesure, la
personne semble maîtresse de son destin. Elle est souvent capable de modifier
les variables qui l'affectent. Un certain degré d'autodétermination de leurs
conduites est d'ordinaire reconnu à l'artiste et au scientifique, à l'écrivain
et à l'ascète. Les exemples beaucoup plus modestes d'autodétermination sont
plus familiers. La personne choisit
entre diverses possibilités d'action, réfléchit
à un problème abstrait et maintient sa santé et sa position dans la société par
la pratique du self-control. »
(1953, p. 228, tr., p. 214, souligné par Skinner). L’habileté à se
gérer se développe d’autant mieux que la psychologie scientifique progresse et
permet de mieux comprendre des lois du comportement : « A mesure qu’une science du comportement dégage
mieux les variables dont le comportement est une fonction, ces possibilités
[d’autocontrôle] devraient être grandement accrues. » (id., p. 241, tr.
p. 244).
Pour
comprendre pourquoi le journaliste du Time
a voulu « accrocher » les lecteurs par la phrase « We can't afford freedom » (nous ne pouvons nous
permettre la liberté), il suffit de lire la première page de l’ouvrage dont il
est question dans son article : Beyond
Freedom and Dignity. Skinner commence par dire que le monde d’aujourd’hui
nous confronte à des « problèmes terrifiants » : « la
famine mondiale », « les ghettos urbains », « les problèmes
démographiques », « la guerre devenue plus horrible que jamais depuis
l’invention des armes nucléaires ». Dans le paragraphe suivant, il
explique que l’application des sciences physiques, biologiques et médicales ne suffit
pas à résoudre tous ces problèmes. Il développe ensuite l’idée que nous aurions
intérêt à mieux utiliser les connaissances de la psychologie scientifique pour
réduire les comportements d’agression, d’exploitation, de surconsommation, de
gaspillage, de pollution … et pour développer des comportements altruistes, des
loisirs de qualité, la recherche scientifique. Affirmer que la dignité de
l’homme réside essentiellement dans la liberté souveraine de chaque individu de
satisfaire sans réserve tous ses désirs égoïstes, c’est faire fi de la
souffrance de ceux qui sont moins nantis en pouvoir et en richesse, c’est
accepter de voguer tout droit vers des désastres collectifs. Par ailleurs, en
faisant croire aux citoyens qu’ils sont des êtres parfaitement libres, on leur
fait endosser la responsabilité de tous leurs malheurs, on disculpe
l’organisation sociale et les politiciens au pouvoir.
Cinq ans plus tard, en 1976, dans la post-face de Walden Two, Skinner réaffirme cette
préoccupation en mettant le doigt sur la responsabilité de son propre
pays : « Il
n'est pas possible à quelques nations hautement industrialisées d'affronter
encore longtemps le reste du monde en continuant à consommer et à polluer
l'environnement comme elles le font. Un genre de vie où chacun n'utilise
qu'une petite partie des ressources mondiales et mène pourtant une vie heureuse
constituerait la meilleure garantie pour la paix dans le monde. C'est un modèle
qui pourrait être facilement copié. J'ai récemment été encouragé lorsque quelqu'un
du ministère des Affaires étrangères m'a appelé pour me dire que les États-Unis
devraient arrêter d'exporter “la vie à l'américaine” et exporter des Walden Deux à la place. […] Il est
maintenant largement reconnu que de grands changements doivent être réalisés
dans le mode de vie des États-Unis. Non seulement nous ne pouvons pas braver le
reste du monde en consommant et polluant comme nous le faisons, mais nous ne
pourrons pas longtemps nous regarder en face tant que nous n'aurons pas reconnu
la violence et le chaos où nous vivons. Le choix est clair : soit nous ne
faisons rien et acceptons un futur misérable et probablement catastrophique,
soit nous utilisons nos connaissances du comportement humain pour créer un
environnement social où nous pourrions mener une vie productive et créative. Et
ceci sans diminuer les chances que ceux qui nous suivent puissent faire de
même. » (1976, tr., 2005, p. 318s). Dommage que le président Bush ne
partage pas la conception skinnerienne d’une liberté à limiter par respect pour
les autres nations et par souci pour les générations à venir.
Skinner part du principe que le comportement est
toujours contrôlé par une série de facteurs, dont seulement quelques-uns sont
facilement compris : « Nous ne pouvons choisir un mode de vie où il
n’y aurait plus aucun contrôle. La seule chose que nous puissions faire c’est
changer les conditions. » (1974 , p. 209) La tâche des scientifiques
est d’améliorer la visibilité de processus de contrôle subtils, cachés ou
inconscients, qu’ils soient de nature psychologique, sociologique, économique,
biologique ou physique. La tâche des responsables politiques et des citoyens
est de discuter de la manière d’agencer au mieux la société, d’expérimenter, de
planifier, de tirer des leçons et de réorganiser. Durant tout ce processus, dit
Skinner, il est essentiel de mettre en place des formes de
« contre-contrôle » : « Le grand problème est d’arriver à
garantir un contre-contrôle efficace, c’est-à-dire à faire peser certaines
conséquences importantes sur le comportement du détenteur du contrôle. »
(1971, tr., p. 208) La politique américaine en Irak serait sans doute
différente si le président Busch ou un de ses enfants risquaient leur vie sur
le terrain des combats…
Il n’est pas inutile de s’arrêter au problème posé par
l’usage du mot « contrôle ». Ce mot désigne une coordination harmonieuse d'activités (comme
lorsqu'on parle de la « tour de contrôle » d'un aéroport) ou une
régulation de processus biologiques ou psychosociaux (comme lorsqu'on évoque
le « contrôle des naissances »). Il peut prendre, comme c'est
généralement le cas dans la psychologie scientifique, le sens neutre
d'« influence », de « facteur déterminant » ou de
« variable agissante ». Dans le langage courant, il évoque souvent
des formes de contrôle répressif
(vérification tatillonne, restriction, manipulation), raison pour laquelle
beaucoup de comportementalistes évitent de l’employer. Skinner, lui, a maintenu
son usage. Il écrit, dans son autobiographie : « Je savais que le mot
“contrôler” est problématique. Pourquoi ne pas l’adoucir en utilisant
“affecter” ou “influencer” ? Mais j’étais un déterministe et “contrôler”
signifie “contrôler”, et aucun autre mot n’était aussi adéquat. Bien
évidemment, je ne voulais pas du tout entendre par là le contrôle punitif ou
aversif. Au contraire, je pense avoir démontré l’existence d’alternatives
efficaces à ces formes répréhensibles de contrôle. » (1979, p. 345)
Faut-il rappeler que Skinner, plus que quiconque,
mettait en garde contre les mesures punitives et répressives ? C’est un
fil rouge à travers toute son œuvre,
que l’article du Time présente en ces
termes : « Nous croyons que l’homme est un être autonome. Skinner
insiste sur le fait que l’autonomie est un mythe et que la croyance en un
“homme intérieur” est une superstition qui trouve son origine, comme la
croyance en Dieu, dans le manque de compréhension du monde humain […] Le fait
est, souligne Skinner, que les actions sont déterminées par
l’environnement : le comportement est “façonné et maintenu par ses
conséquences”. […] En résumé, ce sont des punitions ou des récompenses qui
déterminent si un type de comportement devient habituel. Mais Skinner pense que
les punitions sont souvent un moyen inefficace de contrôler. “Une personne qui
a été punie”, écrit-il dans son nouveau livre, “n’est pas moins tentée de se
conduire d’une certaine façon ; dans les meilleurs cas, elle apprend
comment éviter la punition.” » (p. 48).
Skinner est-il le chantre du « dressage
humain », le cynique « planificateur » qui suggère aux hommes
politiques de « tirer les ficelles de leurs marionnettes pour leur plus
grand bien », « selon les méthodes appliquées aux rats de
laboratoire » ? Pour Miller, une pseudo-citation suffit à l’affirmer.
Pour le lecteur de Skinner dénué de préjugés, c’est de la pure calomnie. Miller
a-t-il lu l’article du Time ou les
œuvres de Skinner ? Si oui, devons-vous en conclure, selon l’expression de
Nietzsche, à une « débilité
constitutionnelle » ? Je crois plutôt à la mauvaise foi qui
caractérise ceux qui cherchent à protéger le business lacanien.
Une dernière remarque. On peut reconnaître
l’apport des observations scientifiques de Skinner sans adopter le moins du
monde les idées de son roman utopique de 1948 ou de son essai politico-social
de 1971. Par ailleurs, à supposer que Skinner soit un personnage peu
fréquentable — ce qui n’est nullement mon avis —, cela ne change rien à la
valeur du comportementalisme. Pour les psychanalystes, la réputation de
l’homme Freud est un argument fondamental pour assurer la validité des
observations et de la doctrine du Père-fondateur. Exemplaire à cet égard est la
façon dont les freudiens, E. Roudinesco en tête, ont tout fait pour réfuter ce
qui était devenu un secret de polichinelle : la double vie de Sigmund
(Gauthier, 2007). Pour les comportementalistes, Skinner n’est qu’un chercheur
parmi d’autres, dont la lecture demeure fort intéressante, mais pas plus
nécessaire à leur formation que celle de Eysenck, Goldiamond, Marks, Meyer,
Wolpe, Yates et tant d’autres qui ont contribué, en différents endroits de la
planète, à développer des méthodes validées de résolution des difficultés
psychologiques.
[1] Voir
l’URL : http://www.dicocitations.com/resultat.php?mot=Calomnie (consulté le
2.1.2007)
[2] Nouveau
Larousse universel. Paris.
Larousse, 1948, tome 1, p. 272.
[3] En 2002, Steven Haggbloom et une équipe de dix
chercheurs de l’université de l’Etat de l’Arkansas ont établi une liste des 100
psychologues les plus éminents du XXe siècle, sur la base des
citations de leur nom dans les principaux manuels et les revues les plus
prestigieuses de la psychologie. (The 100 most eminent psychologists of the 20th
century. Review of General Psychology,
2000, 6 : 139-152). Skinner
est resté en première place (!), suivi, dans l’ordre, par Piaget, Freud et
Bandura. Jung figure au 23e rang et Adler au 67e. Le nom
de Lacan, évidemment, n’y apparaît pas.
Freud, S. (1910) Ueber Psychoanalyse. Gesammelte
Werke, VIII, p. 3-60. Trad., De la
psychanalyse. Œuvres complètes, Paris : PUF, 1993, X, p. 36.
Gauthier, U. (2007)
La double vie de Sigmund. Le Nouvel
Observateur, n° 2201, p. 67.
Nietzsche, F. (1881) Aurore. Trad. in Œuvres philosophiques complètes. Paris : Gallimard, T. IV,
1970.
Roudinesco, E. (1999) Pourquoi la psychanalyse? Paris : Fayard.
Russell, B. (1945) History of Western Philosophy.
London : Routledge. Rééd.: 2005.
Skinner, BF. (1948)
Walden Two. N.Y.: Macmillan. Rééd.: 1969. Trad., Walden 2. Communauté expérimentale. Paris : In Press, 2005.
Skinner, BF. (1953)
Science and human behavior. The
Macmillan Company. Paper ed.: Free Press, 1965. Trad., Science et comportement humain. Paris: In Press.
Skinner,
BF. (1954)
A critique of psychoanalytic concepts and theories. Scientific Monthly, 79:
300-305. Reprinted in Cumulative Record.
N.Y.: Appleton-Century-Crofs, 1961, p. 185-94.
Skinner,
BF. (1971)
Beyond freedom and dignity. N. Y.: Knopf. Trad. par A.M. & M.
Richelle: Par-delà la liberté et la
dignité. Paris: Laffont, 1972.
Skinner,
BF. (1974)
About behaviorism. N. Y.: Knopf.
Reprinted: Vintage Books Ed., 1976, 291 p. Reprinted with a new preface
and epilogue in Penguin (Peregrine) Books, 1988.
Skinner, BF. (1976)
Walden Two. Hackett Pub Co,
réédition. Trad., Walden 2. Communauté expérimentale. Paris:
In Press, 2005.
Skinner,
BF. (1979)
The shaping of a behaviorist. Part Two of
an Autobiography. N.Y.: Alfred Knopf.
Skinner,
BF. (1983)
A Matter of Consequences. Part Three of
an Autobiography. N.Y.: Alfred Knopf.
Time
(1971) Skinner’s Utopia : Panacea, or Path to Hell ? September 20, p.
47-54.
Vargas,
JS. (2004) A daughter’s retrospective of B.F. Skinner. The Spanish Journal of Psychology, 7 : 135-140.