Les vingt nouvelles légendes freudiennes
de Mme Roudinesco
Professeur de psychologie
à l’Université de Louvain (Louvain-la-Neuve)
et aux Facultés universitaires St-Louis (Bruxelles)
« Roudinesco se dit historienne et
psychanalyste. [...]
Je crains qu'elle ne soit pas plus
psychanalyste qu'historienne [1]. »
André Green
Ancien Directeur de l'Institut de
Psychanalyse de Paris
« Roudinesco s’est autopromue historienne
de la psychanalyse,
caudillo des recensions médiatiques
des ouvrages traitant de la question
freudienne. […]
Irascible mégère, dont la psychanalyse
ne cesse de pâtir,
compte tenu du pouvoir éditorial et
médiatique conquis par ce censeur. »
Gérard Haddad, psychanalyste
Le jour où Lacan m’a adopté,
Grasset, 2002, Livre de Poche, 2007,
p. 421
La France compte un nombre impressionnant de psychanalystes intelligents,
honnêtes et bien informés. Certains ont réalisé d’excellentes contributions à
l’histoire de leur discipline. Ainsi, dans le long texte d’Alain de Mijolla «
La psychanalyse en France » [2], on cherche en vain une erreur ou une affabulation. Je n’ai pas encore lu
les 960 pages du Freud et la France – 1885-1945, que cet auteur vient de
publier aux PUF, mais je suppose que c’est de la même qualité. Dès lors, je ne
comprends pas comment Le Monde confie encore à Mme Roudinesco sa rubrique psy :
elle ne fait pas réellement de l’histoire, c’est avant tout une avocate d’une
certaine conception du freudisme. Sa passion l’amène à dissimuler, travestir,
manipuler, mentir, fabuler.
Dans le présent texte, nous passons en revue 20 légendes récentes qu’invente
Mme Roudinesco dans deux petits textes, totalisant une quinzaine de pages.
Michel Onfray les appellerait des « cartes postales freudiennes ».
Nous commençons par rappeler le sens de l’expression « légendes freudiennes
», utilisée par les historiens de la psychanalyse. Un petit détour par les
plus célèbres au niveau international : Ellenberger et Sulloway. Ensuite
nous passons en revue 20 légendes de l’avocate freudienne. Libre à vous de
passer directement aux légendes de Mme Roudinesco page
4 et d’en choisir l’une ou l’autre.
«
Ellenberger a saisi Freud hors de sa légende »
Mme Roudinesco écrit :
« Henri Ellenberger est le fondateur de l’historiographie
savante à la manière de Michelet et de l’école des Annales. Il expose avec
talent les principes rigoureux d’une méthodologie et d’une histoire de la
clinique, ainsi que des itinéraires de savants, de philosophes ou de malades
qui peuplent l’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse. […] Son refus
d’adhérer à la conception freudienne de l’inconscient ne l’entraîna jamais sur
les chemins de l’antifreudisme. Il fut au contraire le premier historien à
saisir Freud hors de sa légende. [3] »
Ce Ellenberger, dans son Histoire de la psychiatrie dynamique
[4], écrit que « la psychanalyse, dès ses origines, s’est développée dans
une atmosphère de légende » (p. 463).
Il consacre à ce fait des dizaines de pages, qu’il résume de la
façon suivante :
« Un coup d'oeil rapide sur la légende freudienne révèle deux traits essentiels. Le premier est le thème du héros solitaire, en butte à une armée d'ennemis, subissant, comme Hamlet, les “coups d'un destin outrageant”, mais finissant par en triompher. La légende exagère considérablement la portée et le rôle de l’antisémitisme, de l'hostilité des milieux universitaires et des prétendus préjugés victoriens. En second lieu, la légende freudienne passe à peu près complètement sous silence le milieu scientifique et culturel dans lequel s'est développée la psychanalyse, d'où le thème de l'originalité absolue de tout ce qu'elle a apporté : on attribue ainsi au héros le mérite des contributions de ses prédécesseurs, de ses associés, de ses disciples, de ses rivaux et de ses contemporains en général. » (p. 464)
En fait, Ellenberger démonte bien plus que deux légendes. Enumérons les
trois principales :
- La légende du héros persécuté.
Freud n’a pas été rejeté par l’ensemble de la communauté scientifique, bien
au contraire. Luimême a parfois reconnu le bon accueil de ses idées. Par
exemple, en 1905, il écrit que « tous » les spécialistes des pays de langue
allemande tiennent compte désormais de la théorie qu’il a exposée en 1895, avec
Joseph Breuer, dans Les Etudes sur l’hystérie [5].
- La légende de l’originalité absolue.
Freud est beaucoup moins original que ne l’affirment constamment ses
disciples. C’est p.ex. le cas pour la notion d’inconscient. Ellenberger écrit,
dans la préface de son livre :
« L’étude de l’inconscient a été l'oeuvre cumulative d'un grand nombre de personnes. Ses débuts remontent aux intuitions des mystiques et de quelques philosophes antiques, auxquels il faut ajouter saint Augustin. Mais c'est surtout après Leibnitz que la notion de l'inconscient s'est précisée, et elle s'est développée avec une grande rapidité au XIXe siècle. C'est alors qu'ont surgi les grandes philosophies de l'inconscient (Von Schubert, Carus, Schopenhauer, von Hartmann) et les premiers travaux de psychologie expérimentale (Herbart, Fechner, Helmholtz), sans parler des innombrables recherches de physiologistes, de psychiatres, de magnétiseurs et même de spirites. »
- La légende de la guérison d’Anna O, cas princeps de la psychanalyse.
Ellenberger, qui a mené un véritable travail de détective pour retrouver les dossiers concernant cette malade, conclut : « Le “prototype d'une guérison cathartique” ne fut ni une guérison ni une catharsis. Anna O. était devenue une morphinomane grave qui avait conservé une partie de ses symptômes les plus manifestes. » (p. 408) Rappelons que, tout au long de sa carrière, Freud n’a cessé de répéter qu’Anna O. fut « libérée de tous ses symptômes » grâce à la première forme (breuerienne) de psychanalyse.
Notons que le psychiatre Ellenberger avait été formé à la psychanalyse
freudienne. Il avait fait sa didactique, en bonne et due forme, chez Oscar
Pfister, fidèle disciple de Freud. Ce n’est que petit à petit qu’Ellenberger a
pris conscience des légendes et mensonges freudiens. A la fin de sa vie, il
écrira :
« La psychanalyse est-elle une science ? Elle ne répond
pas aux critères (science unifiée, domaine et méthodologie définie). Elle répond
aux traits d'une secte philosophique (organisation fermée, initiation hautement
personnelle, doctrine changeante mais définie par son adoption officielle,
culte et légende du fondateur) [6] ».
Sulloway
dévoile d’autres légendes freudiennes
Frank Sulloway est diplômé de Harvard. Ce spécialiste de l’histoire des
sciences a enseigné au M.I.T. et à l’université Berkeley. En 1979, il a publié Freud,
biologist of the mind : Beyond the psychoanalytic legend (Basic Books),
traduit en français avec un titre amputé : Freud, biologiste de l'esprit
(Fayard, 1981, 595 p. ; Rééd. 1998, 620 p.). Son objectif de départ était de
faire l’archéologie des concepts freudiens. Le résultat a été la poursuite du
travail de démythologisation entrepris par Ellenberger. Dans son monumental
ouvrage, Sulloway expose pas moins de 26 « mythes freudiens ». Un exemple :
l’affirmation que la psychanalyse serait essentiellement le résultat de
l’auto-analyse de Freud.
Le lecteur peut se faire une idée des découvertes de Sulloway par son
chapitre « Freud recycleur : cryptobiologie et pseudoscience » dans Le Livre
noir de la psychanalyse (éd. 2010, p. 68-84) et par sa liste de mythes
freudiens sur le site : http://www.mythesfreudiens.com/
Le lecteur trouvera le démontage d’autres légendes encore dans Le Livre
noir de la psychanalyse (2005, éd. remaniée, 2010) et dans Le crépuscule
d’une idole. L’affabulation freudienne de Michel Onfray (2010).
Elisabeth Roudinesco est la plus médiatique des freudiens [7].
Elle est journaliste attitrée du Monde, mais L’Express, Le Nouvel Obs et
Le Point lui ouvrent leurs colonnes pour enseigner ce qu’est la
psychanalyse et ce que sont les TCC, ce qu’il convient de croire et de pas
croire. Ce statut exceptionnel lui permet non seulement de consolider une série
de mythes freudiens classiques, mais encore d’en inventer de nouveaux, parfois
très originaux.
Mme Roudinesco vient d’écrire, dans un hors série du Monde, qu’elle
veut dessiner « un nouveau Freud », « oser un autre Freud » ? Ce qu’elle écrit
est, en effet, très nouveau, très audacieux, tant pour Freud que pour Hitler.
Sa version révisionniste [8] du freudisme mérite le détour.
Nous nous limitons ici à 20 nouveaux mythes qu’on peut lire dans deux de
ses petits textes tout récents (une quinzaine de ses pages au total). L’un paru le 1er avril 2010 dans Le Nouvel Observateur [9], la photo de Mme Roudinesco
apparaissant en couverture de l’hebdomadaire, l’autre paru dans le hors-série Sigmund
Freud. La révolution de l’intime, publié par le journal Le Monde [10], également en avril. Nous les citerons en indiquant OBS et MONDE.
Nouvelles
légendes
freudiennes de Mme Roudinesco
1. La traduction des OEuvres
complètes de Freud aux PUF est illisible 2. Le mot « psycho-analyse » a été
inventé par Joseph Breuer 3. Le concept de « transfert » est
une invention de Ferenczi 4. La psychanalyse peut traiter les
phobies, les TOC, la perte de l’estime de soi, etc. bien mieux que les TCC.
Pour cela, il faut proposer des cures courtes (six mois) et actives, comme
les pratiquait Freud lui-même. 5. Le paiement n’est pas nécessaire à
la conduite de la cure freudienne 6. Freud souffrait d’une phobie des déplacements parce que, enfant, il avait sans doute deviné la nudité de sa mère lors d’un voyage en train 7. Freud est un penseur spiritualiste 8. La conception de Freud est très
éloignée du chacun pour soi 9. Freud trouve normal qu’un enfant
se masturbe 10. La haine de Freud s’est
manifestée dès ses premiers écrits 11. Le premier scandale freudien —
l’inconscient et de la sexualité —continue à choquer 12. Les historiens critiques du
freudisme inventent de toutes pièces 13. Il y a bien souvent, en France, une
jonction inconsciente entre antifreudisme et antisémitisme 14. Aux Etats-Unis, après le passage
de Freud en 1909, la psychanalyse a remplacé la psychiatrie et la psychologie 15. Aux Etats-Unis, par la suite,
Freud a déchaîné la fureur 16. Les nazis regardaient Freud
comme leur plus grand ennemi 17. Hitler est le destructeur de la
psychanalyse européenne 18. Les médecines parallèles se sont
développées depuis la négation de la force du freudisme 19. Les comportementalistes
réduisent l’homme à une machine sans âme 20. A cause du DSM
(Manuel diagnostique des troubles mentaux), 1° on ne sait plus qui est fou et
qui ne l’est pas, 2° on ne se préoccupe pas de savoir à quoi renvoient les
comportements. |
Légende n°1. La traduction des OEuvres complètes de Freud aux PUF est illisible
Mme Roudinesco écrit :
« Les traducteurs des OEuvres complètes de Sigmund Freud aux PUF ont prétendu faire un retour à une sorte de germanité archaïque du texte freudien. […] Ainsi traduite en freudien, l'oeuvre de Freud n'est guère lisible en français : tournures incompréhensibles, néologismes, etc. Parmi les inventions, notons “animique” à la place de “âme” (Seele)» (MONDE, p. 62s).
Dans le document internet « Pourquoi tant de haine ? Suite », que
Mme Roudinesco a envoyé à toute la presse de France et de Belgique pour
vilipender Le Crépuscule d’une idole avant même sa parution, elle écrit
: « Onfray dit avoir pris connaissance de l’oeuvre de Freud dans la traduction
des PUF, celle qui est la plus critiquée par l’ensemble des spécialistes » (p.
3). Pour elle, cela remet en question la valeur de ce qu’écrit M. Onfray (sic)
! Ici, comme toujours, Mme Roudinesco ne donne aucune référence de
quelques-uns des spécialistes les plus éminents de cet « ensemble ».
Lorsque j'ai lu ce jugement, je me suis demandé pourquoi Mme Roudinesco était
aussi radicale, pour ne pas dire « haineuse », si l'on veut bien utiliser son
expression favorite dès qu’apparaît une critique de son Père Freud.
La réponse se trouve 61 pages plus loin : une page publicitaire des
éditions du Seuil, où vient de paraître L'interprétation des rêves.
On y lit EN GRANDS CARACTÈRES : « Cette édition devrait être
désormais l'édition de référence. Elisabeth Roudinesco. Le Monde ».
Et qui est devenu récemment le PDG du Seuil ? L'homme qui vit avec
Mme Roudinesco, Olivier Bétourné. Mme Roudinesco a le sens des affaires.
Pour le business, et alors qu'elle est sans doute incapable de lire la langue
de Freud [11], elle n'hésite pas à frapper d’anathème un travail de traduction remarquable,
qui n'a qu'un seul défaut : être tellement près du texte freudien que quelques
mots paraissent tirés par les cheveux, en particulier le néologisme « animique
».
Les auteurs ont traduit « Seele » par « âme », ce qui est parfait,
contrairement à ce qu’écrit Mme Roudinesco [12]. Par contre, comme je l’avais déjà fait remarquer dans la 1ère édition du Livre noir
de la psychanalyse en 2005 (p. 220 ; éd. 10/18, p. 280), la traduction de «
das Seelische » par « l'animique » est discutable. Traditionnellement, on
traduit par « le psychique », mais il faut accorder aux traducteurs des PUF que
Freud utilise tantôt le mot « psychisch » (psychique), tantôt le mot «
seelisch » (donc « animique » se justifie !).
De plus, Freud s'est toujours défini comme un investigateur de l'« âme » et
non comme un observateur du comportement. Pour lui, les comportements ne
constituent pas un objet d'étude en soi : ils ne sont qu'un reflet mensonger et
inintéressant des profondeurs de l'âme. On peut d'ailleurs dire que la
psychanalyse est une psychologie « animiste » [13]. Dans le présent texte, quasi toutes les citations de Freud proviennent de
cette traduction des PUF, déclarée illisible. Le lecteur jugera par lui-même.
Dans son opuscule Pourquoi tant de haine ?, Mme Roudinesco disait
que le but de l’éditeur du Livre noir de la psychanalyse n’était qu’« une
opération classique de commercialisation ». Pour le business de Roudinesco-Bétourné-Seuil,
il n’y a aucun doute.
Légende n°2. Le mot « psycho-analyse » est une invention de
Joseph Breuer
Mme Roudinesco écrit : « le mot « psycho-analyse » était apparu pour la
première fois en 1896 : Freud reconnaissait l’avoir emprunté à Breuer » (MONDE,
p. 9).
Elle ne donne aucune référence, alors qu’elle doit savoir
être la première à faire cette « révélation » ! Mon ami Mikkel Borch-Jacobsen me
confirme qu’il s’agit d’un nouveau « fait » historique, créé par Mme
Roudinesco (communication personnelle).
En réalité, quand Freud emploie pour la première fois le mot «
psycho-analyse », en 1896, il désigne par là « le procédé explorateur de J. Breuer.[14]
» Il précise alors que ce type d’analyse psychologique
consiste à « décharger » des émotions coincées, liées à des événements oubliés.
Par la suite, Freud a continué à affirmer que la psychanalyse trouve son point
de départ dans le « procédé cathartique » de Breuer, mais il n’a jamais écrit,
dans les 6226 pages des OEuvres complètes en allemand, que le mot «
psychanalyse » est une invention de Breuer. En réalité, il a germanisé
l’expression courante d’« analyse psychologique », utilisée dès le XVIIIe siècle et employée en particulier par Pierre Janet dès la
fin des années 1880, pour désigner la recherche d’« idées subconscientes » à
l’origine de troubles mentaux.
Notons l’efficacité des légendes diffusées par Mme Roudinesco. Moins d’un
mois après la sortie de la légende n° 2, on la trouve déjà comme une évidence
dans Le Monde du 3 mai (p. 16), sous la plume de Thomas Wieder, qui
avait piloté le récent hors série sur Freud. Faut-il préciser que cette
nouveauté est toujours sans référence de source ? Le professeur de psycho que
je suis est très curieux d’observer comment cette légende roudinescienne va
évoluer dans les médias.
Signalons au passage qu’on trouve sous la plume de cet élève de Mme
Roudinesco une bourde qui signe sa méconnaissance de l’histoire de la
psychanalyse. Il fait de Breuer un « psychiatre » [15].
Autre répétition par Wieder d’une légende que Mme Roudinesco avait déjà développée [16] :
« Au fil des années, les théories de Freud ont évolué. Sur l’appareil psychique notamment. Dans les années 1900, par exemple, il pensait qu’il était structuré autour d’une tripartite entre l’inconscient, le préconscient et le conscient. Vers 1920, il proposa une autre typologie, fondée cette fois sur la distinction du Ça, du Moi et du Surmoi » (id.)
Toute personne, qui a lu l’oeuvre de Freud du début à la fin, sait que
celui-ci n’a pas du tout remplacé la 1ère typologie (ICS, etc.) par la 2de (Ça,
etc.). Freud, simplement, a ajouté.
Dans son tout dernier livre (Abrégé de psychanalyse), il consacre le
4e chapitre — intitulé « Psychische Qualitäten » — à la distinction conscient,
pré- et inconscient, et déclare qu'elle est une des thèses fondamentales de la
psychanalyse.
Avant d’encore publier sur la psychanalyser, Thomas Wieder devrait se faire
relire par un historien sérieux de la psychanalyse. A Paris, je lui conseille
Alain de Mijolla ou Anne Millet [17].
Notons enfin, ici que le freudisme n’est qu’une des
innombrables formes de « psychanalyse » ou d’« analyse psychologique ».
Quand on parle de l’analyse « freudienne », mieux vaudrait parler de «
freudisme » que de « psychanalyse ». Ce n’est pas sans raison que l’on trouve
dans la collection Que-sais-je ? un ouvrage sur la psychanalyse et un
autre sur le freudisme.
Légende n°3. Le concept de « transfert » est une invention de
Ferenczi
Mme Roudinesco écrit : « Le transfert, concept majeur inventé par Sándor
Ferenczi et théorisé par Freud, n'est que la transposition, sur un mode
intersubjectif, d'une emprise qui s'est défaite dans la réalité et que le sujet
reconstruit imaginairement à des fins thérapeutiques. » (MONDE, p. 14).
Aucune référence bibliographique.
Mme Roudinesco est sans doute la première « psychanalyste »
[18] à écrire que Ferenczi est l’inventeur du concept de transfert. En réalité,
Freud l’utilise dès 1895 dans les Etudes sur l’Hystérie [19]. Freud et Ferenczi font connaissance en 1908 [20] Freud n’a pas attendu 13 ans pour
utiliser ou « théoriser » ce concept.
La façon dont Mme Roudinesco définit ici le transfert est un galimatias destiné à paraître savante. En fait, Freud définit le transfert en termes très clairs. Il écrit (traduction des PUF, soi-disant illisible) :
« Dans chaque traitement analytique, s'instaure, sans
intervention du médecin, une intense relation de sentiment du patient à la
personne de l'analyste, qui ne peut trouver d’explication dans les
circonstances réelles. Elle est de nature positive ou négative, varie de l'état
amoureux passionnel pleinement sensuel à l'expression extrême de la révolte, de
la rancoeur et de la haine. Ce “transfert”, appelé ainsi pour faire bref, prend
bientôt chez le patient la place du souhait de guérir et devient, aussi
longtemps qu’il est tendre et modéré, le vecteur de l'influence médicale et le
véritable ressort du travail analytique commun.[21] »
Légende n°4. « La psychanalyse peut traiter les phobies, les TOC, la perte de l’estime de soi, etc. bien mieux que les thérapies comportementales et cognitives. Pour cela, il faut proposer des cures courtes (six mois) et actives, comme les pratiquait Freud lui-même. » (OBS , p. 32)
1° Les recherches scientifiques sur l’efficacité comparée des TCC et de la
psychanalyse concluent très clairement à l’avantage des TCC. Le rapport de
l’INSERM publié en 2004, dont toute la presse francophone a parlé, est une de
ces études. Il en existe bien d’autres que connaissent les experts [22]. Mme Roudinesco ne cite
jamais d’études scientifiques sur cette question. Il est vrai qu’elles sont
quasi toutes en anglais.
On peut noter que Mme Roudinesco choisit très mal ses exemples. En
effet, si les thérapies de type psychanalytique (dites aussi « psychodynamiques
») ont quelques succès, c’est avec certains troubles de la personnalité, mais
justement pas avec des phobies ou des TOC ! L’experte du freudisme ignore ou
feint d’ignorer que Freud lui-même écrit à l’âge de 63 ans, sans jamais dire
ensuite autre chose :
(Traduction « guère lisible » des PUF) : « Notre
technique a grandi avec le traitement de l'hystérie et elle ne cesse d'être
toujours réglée sur cette affection. Mais déjà les phobies nous obligent à
aller au-delà de ce qui est jusqu'à présent notre comportement. On ne devient
guère maître d'une phobie si l'on attend que le malade soit amené par l'analyse
à l'abandonner. Il n'apporte alors jamais à l'analyse ce matériel qui est
indispensable à la résolution convaincante de la phobie. […] Une attente
passive semble encore moins indiquée dans les cas graves d'actions compulsives,
qui en général inclinent en effet vers un processus de guérison “asymptotique”,
vers une durée de traitement infinie, et dont l'analyse court toujours le
danger d'amener beaucoup de choses au jour et de ne rien changer.[23] »
2° Mme Roudinesco précise que « Freud menait ses cures tambour battant à raison de cinq séances par semaine, d'une durée d'une heure » (MONDE, p. 12).
Corrigeons un détail, que Mme Roudinesco devrait connaître : Freud a toujours
écrit qu’il faut « six » séances par semaine, sans quoi, précise-t-il, «
on court le risque que la cure perde le contact avec le présent et qu’elle soit
poussée sur des voies latérales [24]. »
Notons que la façon dont Freud procédait lui-même était assez différente de
ce qu’il recommandait dans ses écrits [25] et que sa pratique était extrêmement différente de celle
inaugurée par Lacan, qui pratiquera des séances de quelques minutes, voire de
quelques secondes, souvent dire un mot [26].
Quoi qu’il en soit, on peut rappeler la maigreur des résultats de la
pratique freudienne et la longue durée de ses cures. Mme Roudinesco écrit
elle-même que « l’analyse de Marie Bonaparte se déroula par intermittence de
1925 à 1938 » (MONDE, p. 18) et que l’analyse de sa propre fille, Anna
Freud, dura 6 ans (id., p. 16). En ce qui concerne Anna, cette durée peut
s’expliquer par le fait que la fille de Freud était particulièrement névrosée.
Il faut souligner que Freud lui-même précise, en 1904, que la durée d’une
cure est « de 6 mois à 3 ans », « à condition que le patient soit capable d'un
état psychique normal ». Au fil des ans, il est devenu de plus en plus
pessimiste quant aux résultats des analyses thérapeutiques (lui-même se
limitant à des analyses didactiques de personnes venant chercher auprès de lui
la reconnaissance officielle d’analyste freudien).
En 1933, il avoue que « le traitement d’une névrose d’une certaine gravité
s’étend facilement sur plusieurs années » et ajoute que « dans bien des cas,
nous avons toute raison de reprendre une analyse après de nombreuses années [27] » !
Dans des conversations privées, Freud était encore plus pessimiste sur les
effets curatifs de sa méthode. Paul Roazen rapporte dans Dernières séances
freudiennes. Des patients de Freud racontent :
« Freud ne cachait pas qu’il était devenu sceptique, notamment
sur l’effet thérapeutique de la psychanalyse. Lorsque quelque chose de
“classique” arrivait dans l'analyse du Dr Putnam, il lançait en riant : “Ne
vous ai-je pas dit que la psychanalyse était une excellente chose pour des gens
normaux ?” En privé, Freud considérait souvent avec ironie ce qu'il avait
accompli. (Plus tard, Anna Freud n'acceptera pas l'opinion de ceux prétendant
que si un patient était capable de se plier entièrement aux exigences d'une
analyse et était en assez bonne santé pour supporter tout ce qui lui était
demandé, c'est qu'il n'avait pas besoin d'un tel traitement. Mais Freud
lui-même avouait volontiers, tout au moins à quelqu'un comme le Dr Putnam, avec
qui il s'entendait si bien, que la psychanalyse n'était indiquée que pour les
gens en excellente santé.) [28] »
Roazen est-il un historien de la psychanalyse fiable ? Certainement.
La-dessus, je m’accorde avec Mme Roudinesco, qui écrit dans sa nécrologie,
parue dans Le Monde le 22 novembre 2005 : « A l’évidence, les ouvrages
de Roazen sont devenus indispensables à qui veut comprendre l'histoire si
charnelle et si passionnelle de la saga freudienne. »
Légende n°5. Le paiement n’est pas nécessaire à la conduite de la
cure
Mme Roudinesco écrit : « Freud affirmait que le paiement n'était pas nécessaire à la conduite de la cure et que le vrai bonheur pour un praticien serait de pouvoir faire des analyses gratuites. » (MONDE p. 12). Toujours pas de référence bibliographique.
En fait, ce qu’écrit Freud est exactement le contraire de ce que
raconte Mme Roudinesco. Sa position est claire et n’a jamais changé après 1913
: un traitement « à bon compte » n’est pas valorisé par le malade ; le
psychanalyste est en droit de refuser de pratiquer tout traitement sans
honoraires, même s’il s’agit d’un confrère ou d’un proche ; le psychanalyste
peut demander des honoraires élevés parce que, « comme le chirurgien », il
dispose de traitements capables d’aider [29].
Freud dit avoir testé l’efficacité de traitements gratuits. On peut se
demander si ce n’est pas un « mensonge freudien » de plus, car Freud n’a publié
aucun cas de ce type. De plus, on ne peut croire qu’il lui ait fallu 10 ans
pour se rendre compte de l’inefficacité de ce type de pratique. Voici ce qu’il
écrit (traduction « guère lisible » des PUF) :
« Pendant à peu près dix ans j'ai consacré
quotidiennement une heure, parfois deux, à des traitements gratuits parce que
je voulais travailler, si possible hors de toute résistance, dans le but de me
repérer dans la névrose. Je ne trouvai pas là les avantages que je cherchais.
Bien des résistances du névrosé sont énormément accrues par le traitement
gratuit, ainsi chez la jeune femme la tentation que comporte la relation
transférentielle, chez le jeune homme la rébellion issue du complexe paternel
contre l'obligation de gratitude, rébellion qui fait partie des difficultés qui
contrarient le plus les soins apportés par le médecin. La suppression de la
régulation assurée malgré tout par le paiement au médecin se fait sentir de
façon très pénible ; l'ensemble de la situation glisse hors du monde réel ; un
bon motif d'aspirer à la terminaison de la cure est enlevé au patient. [30] »
Signalons encore ce témoignage d’Albert Hirst, parmi d’autres, rapporté par
Roazen : « Hirst trouvait que Freud était “très porté sur l'argent”. […] Freud
ne s'intéressait à un patient que s'il était payé. [31] » Hirst avait été traité par Freud en 1909 et 1910 pour
sa difficulté à éjaculer au cours d’un rapport sexuel. La difficulté sera
résolue dix ans après la fin de l’analyse [32].
Légende n°6. Freud souffrait d’une phobie des déplacements parce
que, enfant, il avait sans doute deviné la nudité de sa mère lors d’un voyage
en train.
Mme Roudinesco écrit : « Freud souffrait d'une phobie des déplacements
depuis le jour où, enfant, il avait eu l'occasion de passer une nuit dans un
train avec sa jeune mère, et sans doute de deviner sa nudité. » (MONDE,
p. 18) [33]
Lisons bien : Freud est resté phobique, alors même qu’il en connaissait
la raison [34]. Une illustration, parmi tant d’autres, que connaître la
(soi-disant) « cause » d’un « symptôme » ne suffit nullement à l’éliminer !
Notons au passage qu’il en va de même pour le tabagisme de Freud, une
habitude dont il connaissait la nocivité et qu’il a maintes fois essayé, sans
succès, de combattre. Freud avait l’explication : le tabagisme est un substitut
de la masturbation. Selon le psychanalyste Peter Gay, auteur d'une biographie
louangeuse de Freud, il aurait suffit que Freud creuse davantage en profondeur
pour se libérer du tabagisme : « La jouissance que fumer procurait à Freud, ou
plutôt son besoin invétéré, devait être irrésistible, car après tout, chaque
cigare constituait un irritant, un petit pas vers une autre intervention et de
nouvelles souffrances. Nous savons qu'il reconnaissait son addiction, et
considérait le fait de fumer comme un substitut à ce “besoin primitif” : la
masturbation. À l'évidence, son auto-analyse n'avait pas atteint certaines strates. [35] »
Pour les autres troubles mentaux de Freud, je renvoie à Michel Onfray. Il
en a fait le répertoire (voir dans l’index de son livre, l’entrée : «
psychopathologie freudienne »). Pour tous ces troubles, Freud avait une
explication freudienne, qui ne l’a absolument pas aidé à s’en débarrasser.
La légende roudinescienne sur la durée et l’efficacité des cures a été
publiée dans Le Nouvel Observateur le 1er avril. Un poisson ? Les personnes en analyse freudienne ou lacanienne
depuis plus de six mois devraient tout de même se poser ces questions : « mon
analyste n’est-il pas trop passif ? » et « mon analyste ne serait-il pas (un
peu, beaucoup) un charlatan ? »
Un mot sur la compétence en matière de psychopathologie. En octobre 1999,
Mme Roudinesco s’est trouvée à l’émission de Pivot face à Mme Derivery, qui
venait de publier un livre dévastateur pour la psychanalyse (L’Enfer,
éd. Nil). Mme Roudinesco y déclarait avec assurance que la psychanalyse a
traité « toutes les psychoses » (sic) « depuis le début du siècle » (resic).
Chaque année, j’ai montré cette séquence télévisée à mes étudiants, qui
savaient par ailleurs que Freud avait écrit dans son tout dernier livre qu’« il
faut renoncer à essayer sur les psychotiques notre méthode thérapeutique » car,
pour sa méthode, il est indispensable que « le moi ait conservé une certaine
dose de cohérence et de compréhension de la réalité. [36]
»
Ainsi, au fil des ans, plus de 10.000 de mes étudiants ont pu constater, à
cette occasion, que l’on raconte parfois n’importe quelles légendes à la
télévision et que c’est immanquablement le cas lorsque paraît Mme Roudinesco
[37].
Légende n°7. Freud est un penseur spiritualiste
Mme Roudinesco écrit : « En darwinien authentique, très éloigné des
comportementalistes et autres éthologues du conditionnement, qui confondent
l’homme et l'animal, Freud savait qu'il était aberrant, dans ce domaine, de
franchir la barrière des espèces. » (MONDE, p. 18)
Un détail : c’est la première fois, depuis que j’ai commencé mes études de
psychologie en 1962, que je rencontre l’expression « éthologue du conditionnement
». Il y a des psychologues qui utilisent des méthodes de conditionnement en
laboratoire et, d’autre part, des éthologues qui, tous, définissent leur
pratique comme on peut le lire dans le Petit Robert : « science des
comportements des espèces animales dans leur milieu naturel ». Précisons que
les éthologues n’utilisent guère les méthodes de conditionnement de leurs
collègues béhavioristes (voir à ce sujet les polémiques célèbres entre Lorenz
et Skinner). Rappelons que Mme Roudinesco est une historienne, qui n’a pas fait
d’études de psychologie.
Plus important : Mme Roudinesco n’invente pas seulement un nouveau
Freud, elle nous change aussi Darwin. Elle écrit : un « darwinien
authentique » trouve « aberrant de franchir la barrière des espèces ». A vrai
dire, Freud admirait Darwin et se plaisait à se comparer à lui. Pour l’un comme
pour l’autre, l’homme est essentiellement un animal ! Il suffit de lire
quelques-uns de ses livres. Extraits (traduction des PUF) :
« L’homme n’est rien d’autre ni rien de meilleur que des
animaux, il procède lui-même de la série animale. […] Ses acquisitions
ultérieures ne sont pas parvenues à effacer ces témoignages d’équivalence, qui
sont inscrits dans sa conformation corporelle comme dans ses prédispositions
animiques [seelische Anlagen]. [38] »
« L’homme est un animal de horde, être individuel d’une
horde menée par un chef suprême. […] La masse veut toujours encore être dominée
par un pouvoir illimité. [39] »
« Nous réduisons le fossé que, par présomption humaine,
les époques antérieures ont exagérément creusé entre l’homme et l’animal.
[…] L’héritage archaïque de l’animal
homme [Menschentier] correspond aux instincts [Instinkten] des
animaux, même s’il diffère par son ampleur et son contenu. [40] »
Quand Ludwig Binswanger reprochait à Freud son naturalisme, celui-ci
répondait :
« Je n'ai jamais séjourné que dans le rez-de-chaussée et
le souterrain de l'édifice. Vous affirmez que si l'on change de point de vue,
on voit aussi un étage supérieur, où logent des hôtes aussi distingués que la
religion, l'art, etc. Vous n'êtes pas sur ce point le seul, la plupart des
exemplaires cultivés de l'homo natura pensent ainsi. Vous êtes là
conservateur, et moi, révolutionnaire. Si j'avais encore une vie de travail
devant moi, j'oserais assigner aussi à ces personnages de haut lignage une
demeure dans ma basse maisonnette. Pour la religion, je l'ai déjà trouvée,
depuis que je suis tombé sur la catégorie “névrose de l'humanité”
[41]. »
Signalons pour ceux qui n’ont pas une connaissance de première main de la
psychologie scientifique, que celle-ci reconnaît à la fois des analogies entre
certains comportements des hommes et des animaux, mais aussi des différences
substantielles, par exemple la pensée symbolique et le langage, un comportement
auquel Skinner, parmi tant d’autres comportementalistes, a consacré un ouvrage
de 478 pages [42].
Légende n°8. La conception de Freud est très éloignée du chacun
pour soi
Mme Roudinesco écrit : « Freud a apporté au monde une certaine conception
très éloignée du chacun pour soi qui caractérise la société post-industrielle »
(MONDE, p. 22)
On aimerait des citations de Freud et surtout des enquêtes sur les effets
observables des cures freudiennes et lacaniennes.
La seule grande enquête méthodique réalisée sur les effets de la
psychanalyse dans le grand public a été réalisée par Serge Moscovici
[43]. Il a constaté que les
interviewés, qui connaissaient des analysés, soulignaient fréquemment l'augmentation
de l'égocentrisme comme une conséquence de la cure. Il résumait ces
réponses en disant : « Le psychanalysé, arrogant, fermé, adonné à
l'introspection, se retire toujours de la communication avec le groupe » (p.
143).
Le
célèbre psychiatre Henri Baruk regrettait, en tant que Juif, que la pratique
freudienne alimente facilement les attitudes de mauvaise foi et renforce les
conflits interpersonnels :
« L'attitude psychanalytique est de toute évidence,
d'après nos observation innombrables, une source de conflits. Ce sont
d'abord des conflits familiaux. Le sujet psychanalysé voit souvent avec
acrimonie ses proches, ses parents, son conjoint, qu'il rend responsable de ses
maux. C'est là une attitude de bouc émissaire. [...] Nous avons vu fréquemment
des guerres familiales, des haines des enfants contre les parents, des divorces
douloureux et injustes déterminés par une telle orientation. En outre, certains
sujets psychanalysés deviennent d'une extraordinaire agressivité au point de
vue social, car ils sont d'une extrême sévérité pour les autres et les accusent
sans cesse, ce qui arrive parfois à créer des individus antisociaux. La
religion juive, parlant de la loi de Moïse, proclame : Tous ses sentiers
mènent à la paix. On pourrait dire le contraire de la loi psychanalytique :
Tous ses sentiers risquent de mener à la guerre. [44] »
Avec les lacaniens, les choses ont empiré. On peut trouver une infinité d’exemples. Citons celui de Pierre Rey, qui a fait pendant dix ans des séances quotidiennes d’analyse chez Lacan. Au terme de sa cure, il avoue qu’il n’a pas été libéré des symptômes phobiques pour lesquels il était venu consulter, mais qu’il s’autorise désormais à manifester ses émotions sans retenue :
« Jaillirent de moi en un bouillonnement effrayant les
cris bloqués derrière ma carapace de bienveillance cordiale. Dès lors, chacun
sut à quoi s'en tenir sur les sentiments que je lui portais. Quand j'aimais, à
la vie à la mort, j'aimais. Quand je haïssais, à la vie à la mort, on ne
tardait pas davantage à l'apprendre. » [45].
Un exemple : une amie lui téléphone à plusieurs reprises
pour récupérer un livre qu'elle lui a prêté. Rey ne le retrouve pas. En réponse
à un nouvel appel, il lui lance : « Écoute-moi, vieille truie. Ton torchon de
bouquin de merde, je l'ai jeté aux chiottes. Maintenant, je te préviens. Si tu
me téléphones une fois de plus, je te casse la tête ! Je ne veux plus entendre
ta voix, plus jamais ! [46] »
Ainsi, la psychanalyse lui a permis d'adopter, sans gêne ni culpabilité,
des réactions agressives et parfaitement égocentriques.
Rey conclut : « Il n'est d'éthique que la mise en acte du désir. Le reste
est littérature [47]. »
Légende n°9. Freud trouve normal qu’un enfant se masturbe
Mme Roudinesco déclare : « Freud trouve normal qu’un enfant se masturbe,
mais ça devient pathologique s’il ne fait que ça ! » (OBS, p. 30)
Sans doute la diffusion du freudisme a-t-elle contribué à réduire les
préjugés à l’égard de la masturbation, mais Freud lui-même, à ma connaissance,
n’a jamais écrit ce que Mme Roudinesco affirme. Dommage que celle-ci, comme
toujours, ne donne aucune citation référencée. Le but de son affirmation est
sans doute de nier les préjugés de Freud en la matière. En fait, Freud avait
pratiquement conservé les préjugés du XIXe siècle à l’égard de la masturbation.
Freud déclare que TOUTES les activités sexuelles sans coït sont « PERVERSES
» (perverser Sexualübungen) et qu’elles sont à proscrire pour trois
raisons : « Elles sont condamnables sur le plan éthique car elles rabaissent
cette chose sérieuse que sont les relations amoureuses entre deux être humains
à un jeu agréable sans danger et sans participation de l'âme » ; elles
favorisent l'homosexualité ; elles handicapent la sexualité dans le mariage :
les hommes seront moins puissants, les
femmes seront frigides et, finalement, maris et femmes renonceront aux rapports
sexuels.
Freud met tout particulièrement en garde contre la masturbation qui, selon
lui, corrompt le caractère, prédispose aux névroses et même aux psychoses (!).
C’est la voie de la facilité, écrit-il. Elle engendre des fantasmes qui font
désirer ce qu'on ne trouve pas dans la réalité [48].
Pour traiter les neurasthéniques (on dirait aujourd’hui les déprimés),
Freud conseillait de les envoyer dans un établissement hospitalier afin de les
déshabituer de la masturbation, « la » cause, selon lui, de ce trouble. Il
faut, précisait Freud, les « soumettre à une surveillance constante du médecin
» (« unter beständiger Aufsicht des Arztes »). Le traitement médical de la
neurasthénie (dépression), affirmait-t-il péremptoirement, est de « ramener au
commerce sexuel normal. [49] »
La question de la masturbation infantile, Freud l’évoque à la fin de sa vie pour dire qu’il n’a pas d’avis. Il écrit dans la Nouvelle suite des leçons d'introduction à la psychanalyse (trad. « non lisible » des PUF)
« Vous savez tous quelle significativité étiologique prééminente nos névrosés accordent à leur onanisme. Ils le rendent responsable de tous leurs maux et nous avons grand-peine à les amener à croire qu'ils sont dans l'erreur. […] Mais les névrosés incriminent le plus souvent l'onanisme du temps de la puberté ; l'onanisme de la prime enfance, qui est en réalité celui qui compte, ils l'ont, le plus souvent, oublié. Je voudrais avoir un jour l'occasion de vous exposer de façon circonstanciée quelle importance acquièrent, pour la névrose ultérieure ou le caractère de l'individu, tous les détails factuels de l'onanisme précoce, à savoir s'il a été découvert ou non, comment les parents l'ont combattu ou toléré, si l'individu a réussi lui-même à le réprimer. Tout cela a laissé derrière soi dans son développement des traces impérissables. Mais je suis plutôt content de ne pas avoir à le faire ; ce serait une tâche longue et ardue, et à la fin, vous me mettriez dans l'embarras, car vous exigeriez très certainement de moi des conseils pratiques sur la façon dont on doit se comporter en tant que parent ou éducateur, envers l’onanisme des petits enfants.[50] »
Légende n°10. « La haine de Freud s’est manifestée dès ses
premiers écrits » (Roudinesco, OBS , p. 30)
1° Freud a souvent affirmé que les critiques qu’on lui adressait étaient la
preuve qu’il disait vrai.
Il écrit à Fliess dès 1896 : « Je suis en butte à de l’hostilité et je vis dans un isolement tel qu’on dirait que j’ai découvert les plus grandes vérités. »
A Jung : « A chaque expérience renouvelée de moquerie à
notre égard, ma certitude que nous avons quelque chose de grand entre les mains
croît. » [51].
Pourquoi ce mécanisme serait-il strictement réservé à Freud ? Pourquoi ne
pourrait-il pas s’appliquer à ceux qui critiquent la psychanalyse, quand ils
sont violemment attaqués ou réduits au silence dans les médias ? Pourquoi
l’« hostilité » et les « moqueries » de Mme Roudinesco à l’égard de ceux qui
bousculent la statue de Freud ne seraient-elles pas le signe que ceux-ci ont
découvert de « grandes vérités » ou qu’ils ont « quelque chose de grand entre
les mains » ?
2° Le Nouvel Obs posait la question : « Pourquoi les théories de
Freud ont-elles toujours provoqué le rejet ? » Pour répondre, Mme Roudinesco
n’a qu’un seul mot à la bouche : « haine », « haine », « haine ». C’est son
slogan, son cri de guerre.
A ma connaissance (vérification faite dans l’Index général des Gesammelte
Werke), Freud n’a jamais parlé de « haine » (en allemand : Hass ) à
l’égard de ses théories, mais seulement d’« hostilité » ou d’« aversion ». Il
parlait de « résistances » à trois de ses thèses :
« la vie pulsionnelle de la sexualité en nous ne saurait
être domptée entièrement »
« les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients
[52] »
« le déterminisme rigoureux de la vie psychique est
valable sans exception [53] ».
Pour Mme Roudinesco, toute critique ne peut avoir qu’une et une seule
motivation : la haine. Cela en dit long sur sa
personnalité, sur le niveau de son épistémologie et sur sa connaissance de la
psychologie scientifique. Son argument a été utilisé notamment contre Sokal et
Bricmont (Les impostures intellectuelles, Odile Jacob, 1997) il y a une
dizaine d’années par une partie de l’intelligentsia parisiennne. Je laisse
répondre l'éminent philosophe Jacques Bouveresse, qui a consacré plusieurs
pages à en montrer la mauvaise foi. Extrait :
« Une critique peut être inspirée par une certaine
hostilité, le ressentiment ou l'envie, et néanmoins être pertinente, tout comme
elle peut aussi ne pas l'être. Le ressentiment rend certes, dans bien des cas,
aveugle, et pourtant il rend aussi parfois plus clairvoyant que l'amitié ou la
dévotion. [...] Il est tellement plus facile et plus confortable de
s'interroger uniquement sur les causes psychologiques ou autres, et jamais sur
les raisons de ce qui est dit. L'explication politique, psychologique ou
socio-culturelle, dont on récuse solennellement pour soi-même la pertinence,
peut toujours être appliquée au moins aux autres [54]. »
Tout psychologue scientifique sait que des critiques peuvent avoir de multiples
motivations, notamment celles mises en evidence par Alfred Adler [55], le premier psychanalyste important
qui a critiqué Freud : le désir d’être reconnu comme compétent, le désir de se
valoriser et le plaisir de se rendre utile à la communauté. Autres motivations,
qui n’excluent pas celles-ci : la colère d’avoir été dupé et le spectacle de
voir que d’autres continuent à l’être ; estimer que ne pas dire publiquement ce
que l’on a découvert c’est de la non-assistance à personnes en danger.
3° Par ailleurs, comme Ellenberger, Sulloway et d’autres l’ont montré, les
critiques à l’égard de Freud ne sont pas apparues « dès ses premiers écrits ».
Un relevé minutieux des objections montre que Freud ne sera vraiment critiqué
que quand il sera assez connu, c’est-à-dire après 1905 [56].
A partir de 1908, de plus en plus de psychiatres et de psychologues
confirmeront le diagnostic d’Alfred Hoche : « Le bon n'est pas neuf et le neuf
n'est pas bon [57] »
Légende n°11. Le premier scandale freudien — l’inconscient et de
la sexualité — continue de choquer
Mme Roudinesco écrit : « L’explication de l’inconscient et de la sexualité
: voilà le premier scandale qui continue à choquer » (OBS, p. 30).
Ainsi elle reprend 2 des 3 explications que donne Freud aux « résistances »
à son oeuvre. Elle passe sous silence le motif du « déterminisme, rigoureux et valable
sans exception, de la vie psychique ». Pas un hasard : elle ne cesse d’affirmer
que « Freud a apporté au monde une certaine conception de la démocratie et de
la liberté. » (MONDE, p. 22). Dans Pourquoi la psychanalyse ?, :
« Le sujet freudien est un sujet libre, doué de raison, mais dont la raison
vacille à l'intérieur d'ellemême. [...] Freud a fait de la sexualité et de
l'inconscient le fondement de l'expérience subjective de la liberté » (p. 82,
88). Comprenne qui pourra.
On peut à la rigueur admettre qu’au début du XXe siècle, pas mal de gens
étaient choqués par l’insistance de Freud sur l’inconscient et la sexualité,
mais cette explication ne vaut évidemment pas pour des psychologues, des
psychiatres et des philosophes qui critiquent Freud aujourd’hui, surtout si,
comme c’est mon cas, ils ont d’abord été adeptes du freudisme. Faudrait-il
admettre que ces psys ont d’abord été ouverts à l’idée de l’inconscient et
de l’importance de la sexualité et que,
bien des années plus tard, ces mêmes idées les ont scandalisés ?
1° L’idée qu’il y a des processus inconscients est apparue clairement avec
Leibniz au XVIIIIe siècle et a été admise par
les psychologues scientifiques dès le XIXe [58]. Les critiques pertinentes
portent sur le fait que Freud fait de l’inconscient un Autre en nous,
mais nullement sur l’existence de processus inconscients. Le philosophe
Alain résume bien la position des psychologues scientifiques quand il écrit : «
il n'y a pas d'inconvénient à employer couramment le terme d'inconscient »,
mais il y a des erreurs à éviter : « La plus grave de ces erreurs est de croire
que l'inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et
ses ruses [59]. »
Rappelons que, dans Pourquoi tant de haine ?, Mme Roudinesco
écrivait que Le Livre noir de la psychanalyse « visait à dénoncer toute
tentative d’explorer l’inconscient. » (p. 15). Affirmation on ne peut plus
grotesque, affirmation qui m’a amené à faire, dans l’index de la nouvelle
édition du Livre noir, une entrée « Inconscient freudien » et une entrée
« Inconscient non freudien » [60]. Le lecteur pourra ainsi constater
rapidement que Mme Roudinesco n’a pas peur d’affirmer des choses ridicules de
façon à faire passer les critiques du freudisme pour des imbéciles.
2° La sexualité est évidemment une dimension capitale de l’existence, mais
elle n’est pas le déterminant essentiel de tous nos comportements, ni
même de tous nos troubles. Nombre d’autres déterminants entrent en jeu : le
contexte social, des facteurs biologiques et différents processus
psychologiques, parmi lesquels la peur et le besoin d’estime de soi jouent
souvent un rôle capital.
Légende n°12. Les historiens critiques de la psychanalyse «
inventent de toutes pièces »
Mme Roudinesco écrit :
« Aux Etats-Unis, le puritanisme allié au scientisme nourrissent les attaques contre le freudisme. Le débat hagiographique a porté par exemple sur la sexualité de Freud. A-t-il couché avec sa belle-soeur en 1898 ? Selon la grande rumeur américaine, inventée de toutes pièces, Freud l’aurait mise enceinte et obligée à avorter. Mais cette rumeur vient à l’origine de Jung, grand rival de Freud, qui passait sa vie à raconter ce genre d’histoire. En France, ce type de polémique ne prend pas. » (OBS, p. 32)
Les « historiens critiques » sont-ils des puritains scientistes ? Ces
historiens sont d’abord Ellenberger (dont Mme Roudinesco dit le plus grand
bien), ensuite Roazen (dont Mme Roudinesco dit le plus grand bien), Sulloway
(dont Mme Roudinesco écrit que « il a été réédité chez Fayard avec une
excellente préface de Michel Plon, peu suspect d’hagiographie freudienne
» [61]),
Borch Jacobsen (dont Roudinesco écrivait en 2006 qu’il est « l’un des
historiens le plus intéressant et le plus doué [62] »), Crews, Cioffi et quelques autres. Ces historiens font
contraste avec les « historiens hagiographes », dont Mme Roudinesco est la
représentante la plus typique, depuis la mort de Jones. Tous les historiens
critiques que je viens de citer ont été des admirateurs de Freud
avant de faire des critiques. Faut-il croire qu’ils sont ensuite devenus «
puritains » et/ou « scientistes », et que c’est cette évolution qui les a fait
devenir critiques de Freud ?
1° Ces historiens critiques [63] parlent de quantité d’autres choses que de l’affaire
Minna !
Ils parlent p.ex. des fameux « 18 cas » d’hystérie que Freud a prétendu
publiquement avoir guéri (grâce à la découverte d’un souvenir de séduction
infantile), alors qu’il écrit à Fliess, à la même époque, qu’il ne parvient pas
à en guérir un seul, etc.
2° Quant à l’affaire Minna, Jung est loin d’être le seul à l’avoir évoquée.
Plusieurs membres de la famille Freud l’ont racontée avec précision :
Judith Bernays, la nièce de Freud, Hella Bernays, la soeur de Minna, mais
également des amis de Freud, comme Max Graf, le père du Petit Hans. Voir dans
la nouvelle éd. du Livre noir de la psychanalyse, le chapitre « D’OEdipe
à Tartuffe : l’affaire Minna » (p. 157-163). Borch-Jacobsen y cite des
documents des Archives Freud (Washington) qui viennent d’être déclassifiés,
mais qui ne pourront pas être photocopiés avant 2020 ! Faut-il rappeler
que, jusqu’il y a peu de temps, certaines archives étaient déclarées
inaccessibles jusqu’en 2100 [64], date qui a été ramenée à 2057
[65]. Nul doute qu’elles contiennent
quantité d’informations compromettantes pour Freud, pour l’homme et pour sa «
science ».
3° Il n’y a scandale que pour Mme Roudinesco et des freudiens puritains.
Par exemple J.-A. Miller déclare, décomplexé, que « la morale de Freud se
dégage de sa forme de vie : une vie de travail acharné, d'ambition, assez
étriquée sur le plan sexuel, qu'il ait ou non couché avec sa belle-soeur (ce
que je lui souhaite).[66]
» (je souligne)
C’est Mme Roudinesco qui s’obstine, à corps et à cris, à affirmer qu’il est
inimaginable que Freud ne soit pas cet homme parfait et chaste qu’elle
fantasme. Son Père spirituel ne peut commettre l’adultère. Elle sera bientôt la
seule « historienne » du freudisme à le soutenir.
Légende n°13. Il y a bien souvent, en France, une jonction
inconsciente entre antifreudisme et antisémitisme
Dans le Nouvel Obs, E. Roudinesco parle d’une « jonction inconsciente
» et précise que cela concerne surtout la France [67] (p. 32). Manifestement elle progresse. Jusqu’il y a peu,
toute critique de Freud était, à ses yeux, de l’antisémitisme, qu’elle
qualifiait souvent de « masqué ». Chez elle, c’était un réflexe pavlovien.
Réjouissons-nous de cette évolution.
Quoi qu’il en soit, Freud était plus lucide. Il accordait peu
d’importance à l’antisémitisme dans l’« antipathie » (répétons qu’il ne parle
pas de « haine ») à l’égard de la psychanalyse. Il s’est clairement exprimé à
ce sujet dans le texte « Les résistances à la psychanalyse », publié en 1925
dans La Revue juive (Traduction des PUF) :
« Pour finir, qu'il soit permis à l'auteur de soulever, sous
toute réserve, la question de savoir si sa propre personnalité de juif qui n'a
jamais voulu cacher sa judéité n'a pas eu part à l'antipathie de
l’environnement à l'égard de la psychanalyse. Un argument de cette sorte n'a
été que rarement exprimé à haute voix, nous sommes malheureusement devenus si
soupçonneux que nous ne pouvons nous empêcher de supposer que cette
circonstance n'est pas restée entièrement sans effet. [68] »
Incapable de répondre rationnellement aux arguments, qui se trouvent dans
un nombre de plus en plus abondant d’études révélant les légendes et les
mensonges freudiens, Mme Roudinesco utilise à tour de bras l’accusation
d’antisémitisme. C’est très efficace car, comme l’écrit éminent historien
Jacques Le Rider, « c’est la pire des accusations, celle qu'on lance pour tuer
son adversaire. [69] »
On peut se réjouir du fait que la grande majorité des Juifs n’emploient pas
le mot « antisémitisme » à la façon dont Roudinesco l’instrumentalise. Si
c’était le cas, le mot s’appliquerait à la moindre critique d’un comportement
de Juif [70]. Au bout du compte, le mot n’aurait
plus aucun lien avec ce qu’il signifie pour ceux et celles qui sont de réelles
victimes de l’antisémitisme. Mme Roudinesco contribue à affadir le sens de ce
mot, qui va finir par devenir un sujet de plaisanteries de très mauvais goût.
J’en ai malheureusement déjà entendues.
Notons qu’une très large proportion des auteurs qui ont critiqué le freudisme
sont des Juifs : Adler, Kraus, Popper, Wittgenstein, Eysenck, Rachman, Baruk,
Grünbaum, Roazen, Shorter, Esterson, Han Israëls, Beck, Ellis [71]… On ne peut pas croire que tous sont antisémites.
Légende n°14. Aux Etats-Unis, après le passage de Freud, la
psychanalyse a remplacé la psychiatrie et la psychologie
Mme Roudinesco écrit que quelques années après que Freud ait été invité à
la « prestigieuse Clark University », « la psychanalyse s'implanta en lieu et
place de la psychiatrie et de la psychologie. » (MONDE, p. 21)
Un détail : au moment de l’invitation de Freud et Jung à l’université
Clark, cette institution fêtait son 20e anniversaire
et n’avait encore rien de « prestigieux ». Les universités prestigieuses
étaient Berkeley, Harvard, Stanford, Yale et quelques autres.
Plus important :
1° En réalité, la psychiatrie n’a pas été balayée : durant un demi-siècle,
elle est devenue pour une large part freudienne, mais à partir des années 1970
la psychiatrie américaine n’a plus fait grand cas du freudisme.
2° La psychologie n’a pas le moins du monde été « remplacée par la
psychanalyse ». Mme Roudinesco ne connaît pas grand chose de la psychologie
scientifique. Plus précisément, elle en ignore même les notions les plus
élémentaires. Echantillons :
Dans son best-seller Pourquoi la psychanalyse ?, Mme Roudinesco
écrit p. 95 : « Le béhaviorisme est une variante du comportementalisme
», ce qui revient à dire que le skate-bord est une variante de la planche
à roulette. Tout étudiant en psychologie, qui a réussi sa 1ère année
d’étude, sait que comportementalisme est synonyme de l'anglicisme béhaviorisme,
ce que l’on apprend aussi, tout simplement, en consultant Le petit Robert.
Toujours à la même page, Mme Roudinesco écrit : « On classe souvent le
béhaviorisme dans la psychologie cognitive ». En fait, l’expression «
psychologie cognitive » désigne l’étude scientifique des processus cognitifs. À
ma connaissance, É. Roudinesco est le premier auteur à proposer une
classification aussi loufoque.
Encore à la même page, elle déclare : « La psychologie cognitive se veut
scientifique en prétendant faire dépendre du cerveau non seulement la
production de la pensée, mais l'organisation psychique consciente et inconsciente
». En réalité, les spécialistes de la psychologie cognitive s'estiment
scientifiques parce qu'ils utilisent la méthode scientifique pour étudier des
processus cognitifs. Il ne suffit évidemment pas de dire que la production de
la pensée dépend du cerveau pour être scientifique [72].
Dans mon université, avec ce que connaît Mme Roudinesco de la psychologie
scientifique, elle ne réussirait pas l’examen portant sur un cours élémentaire
de psychologie.
Légende n°15. Aux Etats-Unis, par la suite, Freud a déchaîné la
fureur
Mme Roudinesco écrit : « La psychanalyse tourna en ridicule les grands
principes de la morale civilisée et suscita l’enthousiasme des classes
moyennes. On comprend alors la fureur qui se déchaîna, par la suite, contre cet
Européen pessimiste [73], peu enclin à s’aligner sur
l’axe du bien et du mal en matière de sexualité. N’avait-il pas, en 1909, osé
semer le trouble dans la conscience persécutée des puritains ? » (MONDE,
p. 21)
1° Aujourd’hui encore, Freud a la faveur des classes moyennes et se trouve
enseigné dans de nombreuses facultés de philosophie et lettres.
2° Si « Freud est mort en Amérique » — pour reprendre le titre
d’un chapitre d’un livre de Mme Roudinesco [74], c’est
essentiellement dans les facultés de psychologie et les départements de
psychiatrie. Au moment même où je termine ces commentaires, on peut lire
dans Le Monde que « jamais les Etats-Unis n’ont eu de département
universitaire de psychanalyse, encore moins comme celui qui exista à Vincennes,
l’actuel Paris VIII » (3 mai 2010, p. 17).
La raison n’est absolument pas le puritanisme des psychiatres et des
psychologues universitaires, mais essentiellement le manque de scientificité et
le manque relatif d’efficacité thérapeutique (par comparaison à d’autres
psychothérapies, compte tenu du temps et du coût). Pour plus d’informations,
taper dans Google :
<Freud_aux_USA.pdf> et <Freud_aux_USA.jpg> ou <Freud_dead.pdf>.
Légende n°16. Les nazis regardaient Freud comme leur plus grand
ennemi
Mme Roudinesco écrit : « Freud est l’homme que les nazis regardaient, à
juste titre, comme leur plus grand ennemi » (MONDE p. 7)
Malheureusement Mme Roudineco, spécialiste de
l’antisémtisme, affirme sans donner une seule référence d’écrits d’Hitler ou
d’un de ses généraux. Combien de lignes Hitler a-t-il consacré à Freud dans Mein
Kampf (1926) ? J’avoue ne pas avoir lu cet ouvrage, mais je parierais gros
que Hitler n’y parle guère de Sigmund.
Quoi qu’il en soit, Ernest Jones raconte, dans La vie et l'oeuvre de
Sigmund Freud que, le 4 juin 1938, Freud a été autorisé par les nazis à
quitter l’Autriche, envahie depuis le 11 mars. Toute la famille Freud a pu
émigrer, mais également les deux servantes et la compagne d’Anna Freud, Dorothy
Burlingham [75]. Freud put emporter sa
bibliothèque, ses papiers et sa précieuse collection d’antiquités, mais son
compte en banque fut bloqué.
Dès lors, Freud était-il réellement « le plus grand ennemi des nazis » ?
Soyons sérieux. La légende n°16 nous en apprend sur Mme Roudinesco que sur
les nazis.
Légende n°17. Hitler est le destructeur de la psychanalyse
européenne
Mme Roudinesco écrit : « Hitler est le destructeur de la psychanalyse
européenne, de sa langue, de sa doctrine, de ses représentations, de ses
institutions » (MONDE, p. 8)
En fait, les nazis ont brûlé des livres de Freud, non parce qu’il était
psychanalyste, mais parce qu’il était Juif. Theodor Reik, disciple très fidèle
de Sigmund, rapporte :
« Freud ne se montra pas fort surpris par l'explosion de
haine à l'égard des Juifs. Lorsqu'il apprit qu'à Berlin on avait solennellement
voué à perte et brûlé ses livres, de même que ceux de Heine, Schnitzler,
Wassermann, et de tant d'autres, il se contenta de dire calmement, “Au moins,
je brûle dans la meilleure des compagnies” [76]. »
A noter que Freud, à ma connaissance, ne s’est jamais dit personnellement
visé par Hitler. Si cela avait été le cas, Freud l’aurait écrit, tout au moins
dans des lettres. Mais peut-être le père de la psychanalyse était-il moins clairvoyant
que ne l’est Mme Roudinesco.
En Allemagne, avec l’arrivée du Führer au pouvoir, les psychanalystes ont
été persécutés en tant queJuifs, mais non en tant que psychanalystes. Je cède
ici la parole à Eli Zaretsky, l’auteur d’un livre préfacé par Mme Roudinesco (Le
siècle de Freud, 2009). Un historien fiable donc. Il écrit, dans le même
hors-série du Monde, que celui qui s’ouvre sur le texte de Mme
Roudinesco :
« Après la Première Guerre mondiale, l’Allemagne était
devenue le principal centre psychanalytique du monde. Dans les années 1920, les
psychanalystes y étaient aussi nombreux qu'aux États-Unis. Quand les nazis sont
arrivés au pouvoir en 1933, les psychanalystes juifs ont été expulsés et il fut
décidé d’“aryaniser” le mouvement psychanalytique. Certains, au sein du
mouvement, ont approuvé cette mesure. Freud luimême ne s'y est pas vraiment
opposé. Il a accepté l'idée selon laquelle il était possible de continuer
l'aventure en Allemagne sans que les juifs y participent. C'est à mon avis un
moment très triste dans l'histoire de la psychanalyse, un moment que les
psychanalystes allemands ont eu du mal à surmonter. Il y a un parallèle à faire
avec la France, en raison des liens de certains psychanalystes avec le
gouvernement de Vichy. [77] » (p. 72).
Plusieurs psychanalystes — par exemple Felix Boehm et Carl
Müller-Braunschweig — rallièrent la cause nazie et continuèrent à travailler
comme psychanalystes au sein de l'Institut Göring [78]. Hitler n’est pas le destructeur de la
psychanalyse allemande et certainement pas « de la psychanalyse européenne ».
Légende n°18. Les médecines parallèles se sont développées depuis
la négation de la force du freudisme
Mme Roudinesco écrit :
« Jamais les médecines parallèles, de la naturopathie à la suggestologie,
n’ont autant fleuri en Occident que depuis que l’on a prétendu nier la force de
l’invention freudienne. » (MONDE, p. 22)
Il est exact que « la force de l’invention freudienne » est aujourd’hui
niée dans la grande majorité des départements de psychiatrie et de psychologie
des universités occidentales. La France est le dernier pays européen où l’on
peut lire très régulièrement, dans des journaux sérieux, des
articles glorifiant Freud. Mme Roudinesco est toute heureuse d’y voir « une
exception française [79] ».
Les médecines parallèles ont-elles fleuri dans les autres pays et
sont-elles vraiment au plus bas en France, terre freudienne par excellence ? Y
a-t-il réellement une corrélation significative ? On peut en douter
[80] ?
Il faudrait une enquête sérieuse pour le savoir, mais on peut dès à présent
soutenir que la mentalité freudienne favorise l’esprit irrationnel. Il suffit
de voir les pseudo-médecines qui se réclament du freudisme : la
psychogénéalogie, les thérapies régressives (Rebirth, Cri primal), la Nouvelle
Médecine Germanique, etc. [81]
Légende n°19. Les fanatiques du comportement réduisent l’homme à
une machine sans âme
Mme Roudinesco écrit : « Les fanatiques du comportement réduisent l’homme à
une machine sans âme, oubliant qu'ils favorisent ainsi, tel un contre-pouvoir,
l'essor d'une vision occultiste du corps et de l'esprit. » (MONDE, p.
22)
1° On aimerait que Mme Roudinesco, qui tient sans relâche ce genre de
propos, cite avec précision quelques comportementalistes reconnus [82]. En fait, quand on lit que
Mme Roudinesco écrit que « le béhaviorisme est une variante du comportementalisme
» et qu'« on classe souvent le béhaviorisme dans la psychologie cognitive », on
comprend immédiatement qu’elle ne s’y connaît pas plus que d’autres mauvais
journalistes.
En fait, Mme Roudinesco fait tout pour dissuader d’acheter ou de lire un ouvrage « comportementaliste » ou des remises en question des dogmes freudiens. Cela a été sa stratégie lors de la sortie du Livre noir de la psychanalyse (2005) et du Crépuscule d’une idole : avant même la sortie de ces livres, elle a inondé l’Internet avec un document expliquant que les auteurs étaient politiquement incorrects et que leurs ouvrages contenaient les pires sottises sur le Père Freud, sottises qu’elle n’hésite pas à inventer. Bien sûr les personnes, qui ont lu et son document et les ouvrages déblatérés, se rendent compte de la manipulation, mais, en attendant, elle a réussi à dissuader des milliers de personnes de voir par elles-mêmes. L’effet est d’autant plus assuré que beaucoup de journalistes, à commencer par ceux du Monde, s’inspirent de ce qu’elle raconte pour leurs présentations péremptoires de ces livres (gros de 600 ou 800 pages, peu leur importe), dans les quelques jours qui suivent la sortie de presse. Michel Onfray avoue avoir été lui-même victime du « procédé Roudinesco » en son temps.
2° Concernant l’homme réduit à une machine, il faut bien admettre que
certains psychologues scientifiques utilisent la métaphore de l’ordinateur,
comme Freud utilisait des métaphores hydrodynamiques. Rappelons que Freud
compare « l'appareil psychique » à une marmite (« Kessel »), remplie de
l'énergie émanant des pulsions, et explique que les troubles mentaux sont en
quelque sorte de la vapeur qui s'échappe par une soupape [83].
3° Quant à favoriser l’occultisme, c’est plutôt du côté de Freud qu’il faut aller voir. Je recommande à ce sujet la lecture de Michel Onfray : Le crépuscule d’une idole, p. 349-386.
Légende n°20. A cause du DSM, on ne sait plus qui est fou et qui
ne l’est pas et on ne se préoccupe pas de savoir à quoi renvoient les
comportements.
Mme Roudinesco écrit : « La nomenclature du DSM (Manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux), adoptée par l’OMS, est censée
répertorier les troubles psychiques afin de prescrire les traitements. […] On
ne sait plus qui est fou et qui ne l’est pas. Vous vérifiez trois fois si votre
porte est bien fermée ? Vous êtes angoissé donc malade mental. On ne se
préoccupe pas de savoir à quoi renvoient les comportements ». (OBS, p. 32)
1° La logique n’est pas le fort de Mme Roudinesco :
Dans la même phrase, elle reproche à la fois au DSM de ne pas faire de distinction entre folie et normalité (« On ne sait plus qui est fou et qui ne l’est pas ») et de pathologiser à outrance (« vous vérifiez trois fois […] vous êtes malade mental »).
2° Le DSM est né de la volonté de trouver un langage commun entre les psys qui voulaient faire de la recherche, des diagnostics, choisir des traitements. Jusque dans les années 1950, c’était la pagaille complète en matière de diagnostic des troubles mentaux. Par exemple, les psychiatres américains utilisaient très facilement le diagnostic de schizophrénie, contrairement à leurs confrères européens. Le mot « hystérie » désignait n’importe quoi, depuis le comportement des féministes jusqu’aux possessions démoniaques.
Les deux premières éditions du DSM n’ont suscité aucune
objection chez les psychanalystes : les concepts freudiens y prédominaient. Les
freudiens sont devenus hostiles à ce manuel à partir de la 3e édition (1980)
parce que, au fil des nouvelles éditions, les concepts utilisés par Freud
(hystérie, névrose, homosexualité, etc.) ont progressivement disparu. Ainsi «
hystérie d’angoisse » a été remplacé par « trouble phobique », « névrose
obsessionnelle » par « trouble obsessionnelcompulsif ». Que préférez-vous ?
Depuis 1980, les auteurs ont voulu que ce manuel soit « athéorique » : s’abstenant de toute explication, de sorte que les psys de tout bord, y compris les psychanalystes, puissent l’utiliser. Ce dernier point est rendu par Mme Roudinesco par un « reproche » : « on ne se préoccupe pas de savoir à quoi renvoient les comportements ». Où est le problème ? Bien entendu, Mme Roudinesco ne cite aucun auteur qui affirmerait que le fait de faire un diagnostic en fonction de critères observables précis empêche, ipso facto, d’investiguer les processus sous-jacents. Ridicule.
Le DSM actuel n’est absolument pas un outil parfait et définitif (la
version « 5 » va bientôt paraître), mais il est indispensable pour faire de la
recherche. C’est un manuel qui évolue. Il va de soi qu’il y a des utilisations
malencontreuses de la catégorisation psychiatrique, mais notons que les
psychanalystes sont les premiers à y recourir avec quelques étiquettes toujours
les mêmes : « hystérique », « narcissique », « pervers ».
3° Mme Roudinesco écrit : « Vous vérifiez trois fois si votre porte est
bien fermée ? Vous êtes angoissé donc malade mental. »
Notons d’abord que le DSM ne parle plus de « malades mentaux » mais de «
troubles mentaux ».
Soulignons ensuite que le DSM est autrement plus nuancé que ce que Mme
Roudinesco tente de faire croire. Je laisse le lecteur juger de la pertinence
de ses affirmations concernant l’exemple de la vérification des portes, en
citant ce qui se lit dans l’édition abrégée du DSM-IV à la rubrique «
Compulsion » :
« Compulsions définies par (1) et (2)
(1) comportements répétitifs (p. ex. lavage des mains, ordonner, vérifier) ou actes mentaux (p. ex. prier, compter, répéter des mots silencieusement) que le sujet se sent poussé à accomplir en réponse à une obsession ou selon certaines règles qui doivent être appliquées de manière inflexible
(2) les comportements ou les actes mentaux sont destinés
à neutraliser ou à diminuer le sentiment de détresse ou à empêcher un événement
ou une situation redoutés ; cependant, ces comportements ou ces actes mentaux
sont soit sans relation réaliste avec ce qu'ils se proposent de neutraliser ou
de prévenir, soit manifestement excessifs
B. A un moment durant l'évolution du trouble, le sujet a
reconnu que les obsessions ou les compulsions étaient excessives ou
irraisonnées. NB. Ceci ne s'applique pas aux enfants.
C. Les obsessions ou compulsions sont à l'origine de
sentiments marqués de détresse, d'une perte de temps considérable (prenant plus
d'une heure par jour) ou interfèrent de façon significative avec les activités
habituelles du sujet, son fonctionnement professionnel (ou scolaire) ou ses
activités ou relations sociales habituelles.
D. Si un autre trouble de l'Axe I est aussi présent, le thème des obsessions ou des compulsions n'est pas limité à ce dernier (p. ex. préoccupation liée à la nourriture quand il s'agit d'un trouble des conduites alimentaires ; au fait de s'arracher les cheveux en cas de trichotillomanie ; inquiétude concernant l'apparence en cas de Peur d'une dysmorphie corporelle; préoccupation à propos de drogues quand il s'agit d'un Trouble lié à l'utilisation d'une substance ; crainte d'avoir une maladie sévère en cas d'Hypocondrie; préoccupation à propos de besoins sexuels impulsifs ou de fantasmes en cas de paraphilie ; ou ruminations de culpabilité quand il s'agit d'un Trouble dépressif majeur.
E. La perturbation ne résulte pas des effets
physiologiques directs d'une substance (p. ex. : une substance donnant lieu à
abus, un médicament) ni d'une affection médicale générale.
Spécifier si :
Avec peu de prise de conscience : si, la plupart du temps
durant l'épisode actuel, le sujet ne reconnaît pas que les obsessions et les
compulsions sont excessives ou irraisonnées. »
Rappelons que le psychanalyste André Green disait : « Roudinesco se dit
historienne et psychanalyste. [...] Je crains qu'elle ne soit pas plus
psychanalyste qu'historienne. »
Ajoutons : à l’évidence, Mme Roudinesco n’est pas plus épistémologue que
psychologue.
C’est une fabuleuse conteuse.
Combien d’années fera-t-elle encore illusion ?
Bruxelles, le 3 mai 2010.
---------------------------------------
[1]
« Le père omnipotent », Magazine
littéraire, 1993, 315, p. 22.
[2]
In : Rolland Jaccard, éd., Histoire de
la psychanalyse, Hachette, 1982, Vol. 1, p. 9-105.
[3]
Présentation de H. Ellenberger, Médecine
de l'âme, Fayard, 1995, p. 7 & 23.
[4] H. Ellenberger, The Discovery of the Unconscious. N.Y. Basic Books, 1970, 932 p. Trad.: A la découverte de l'inconscient.
Histoire de la psychiatrie dynamique, Villeurbanne, Ed. Simep, 1974, 780 p.
[5]
« De la psychothérapie » (1905), OEuvres
complètes, PUF, vol. II, 2006, p. 47.
[6] « Les incertitudes de la psychanalyse ». Cité dans Mikkel
Borch-Jacobsen & Sonu Shamdasani, Le dossier Freud. Enquête sur l’histoire
de la psychanalyse, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006, p. 36.
[7]
Voir les études publiées sur le
site : http://freixa.over-blog.com/
[8] Pour le sens de ce mot, voir le
document « Roudinesco.Revisionisme.doc » dans Google ou chez Alain Rey, Dictionnaire
historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, vol. 2,
1992, p. 1800.
[9] « La révolution de l'intime », p. 30-31. Ce texte,
contrairement au second, est une interview. Que Mme Roudinesco ne vienne pas
dire que le journaliste a trahi ses paroles. Ayant été moi-même interviewé deux
fois par le Nouvel Obs, j’ai chaque fois été invité à relire l’interview
avant publication. C’est assurément le cas pour Mme Roudinesco, pour qui le Nouvel
Obs déroule toujours le tapis rouge.
[10]
« Un conquérant des lumières sombres »,
p. 7-22.
[11] Je n’ai jamais trouvé une
seule note pertinente de Mme Roudinesco concernant la traduction de concepts
freudiens, alors que tous les spécialistes de l’oeuvre freudienne qui lisent
l’allemand ne manquent jamais d’en faire. A titre d’exemple de son incompréhension,
voir la note 12.
[12] Répétons que Mme Roudinesco écrit :
« Parmi les inventions, notons “animique” à la place de “âme” (Seele) »
(sic !). Les traducteurs des PUF n’ont évidemment jamais traduit « Seele
» par « animique », mais toujours par « âme ». L’incompétence n’est pas de leur
côté.
[13]
Pour des détails et des
citations précises sur cette notion d’âme chez Freud, voir Le Livre noir de
la psychanalyse, éd. 2010, p. 227.
[14]
« L’hérédité et l’étiologie des névroses
» (1896), rééd. dans GesammeIte Werke, Fischer, vol. I, p. 416.
[15] Breuer était un chercheur en
physiologie (on lui doit la découverte du rôle du nerf vague dans la
respiration, découverte qui porte le nom de « réflexe de Hering-Breuer ») et un
médecin spécialiste de médecine interne. Avec la célèbre Anna O. il s’aventura
dans le domaine psy, qu’il devait ensuite quitter à jamais.
[16] Dans Pourquoi la
psychanalyse ?, elle écrit p. 155 que Freud « a
transformé de fond en comble sa doctrine en passant de la première topique
(conscient, inconscient, préconscient) à la seconde (moi, ça, surmoi) » (je
souligne)
[17] Dans le livre d’A. Millet Psychanalystes,
qu’avons-nous fait de la psychanalyse ? (Seuil, 2010), que je viens de
terminer, je n’ai trouvé aucune erreur, aucune légende à la « Roudinesco ».
[18] É. Roudinesco reconnaît qu’elle « ne fait partie
d’aucune association psychanalytique » (Pourquoi tant de haine ? Navarin,
2005, p. 30). Il est vrai que le fait de ne pas faire partie d’une association
de psychanalystes n’interdit nullement de se dire « psychanalyste ». Du point
de vue légal, tout le monde a le droit de faire de l’analyse psychologique,
freudienne ou autre, et de se présenter comme psychanalyste, analyste ou
comportementaliste.
[19]
Dans la traduction des OEuvres
complètes des PUF, vol. 2, p. 330.
[20]
Ernest Jones, La vie et
l'oeuvre de Sigmund Freud. Trad., PUF, 1961, p. 9.
[21]
« Autoprésentation » (1925), trad., OEuvres
complètes, PUF, vol. XVII, p. 88s.
[22] Jean Cottraux évoque des études
plus récentes dans le chapitre « La psychanalyse soigne-telle ? » de la
nouvelle édition du Livre noir de la psychanalyse, 2010, p. 305-328.
[23]. « Wege der psychoanalytischen Therapie » (1919), trad., «
Les voies de la thérapie psychanalytique », OEuvres complètes, PUF, XV,
p. 106.
[24] « Sur l’engagement du traitement » (1913) OEuvres
complètes, PUF, XII, p. 168. — « La question de l'analyse profane » (1926),
OEuvres complètes, PUF, XVIII, p. 43.
Les recherches des psychanalystes David Lynn et George Vaillant sur 47 cas
traités par Freud confirment qu’il a toujours pratiqué des cures de six séances
par semaine, y compris pour sa propre fille (« Anonymity, neutrality, and
confidentiality in the actual methods of Sigmund Freud: A review of 43 cases »,
1907-1939. American Journal of Psychiatry, 1998, 155: 163-171).
[25] Au terme de leur enquête sur
ces 43 cas, Lynn et Vaillant concluent que, dans 100 % des cas Freud a trahi le
secret professionnel, dans 75 % des cas il a eu des relations extra-analytiques
avec ses analysés et dans 86 % des cas il a donné des directives concrètes
précises. Les auteurs concluent : « La pratique de Freud ressemble davantage
aux techniques que la recherche sur les psychothérapies a régulièrement
démontré comme plus efficaces que la technique qu’il a recommandée. »
[26] Il y a de nombreux
témoignages d’élèves de Lacan sur la pratique des séances (ultra)courtes, en
particulier pour les didactiques. Pour des exemples, voir François Perrier, Voyages
extraordinaires en Translacanie, Paris, Lieu Commun, 1985 ou Jean-Guy
Godin, Jacques Lacan, 5 rue de Lille, Paris, Seuil, 1990. Rappelons que c’est
cette pratique qui a conduit l’Association internationale de psychanalyse à ne
plus reconnaître les analystes « formés » par Lacan. Cette décision a amené
Lacan à se dire « excommunié », à se comparer à Spinoza et à créer sa propre
Ecole de psychanalyse.
[27]
Nouvelle suite
des leçons d'introduction à la psychanalyse
(1933), OEuvres complètes, PUF, XIX, p. 241.
[28]
Dernières séances
freudiennes. Des patients de Freud racontent,
Paris, Seuil, 2005, p. 228s.
[29]
« Sur l’engagement du traitement »
(1913), OEuvres complètes, PUF, XII, p. 172s.
[31]
P. Roazen, Dernières séances
freudienne, trad., Seuil, 2005, p.43.
[32] Pour en savoir davantage sur le
rapport de Freud à l’argent, voir P. Swales : « Freud, lucre et abus de
faiblesse », in C. Meyer et al., Le livre noir de la psychanalyse, Les
Arènes, 2005, p. 127-144. Ed. 2010, p. 137-154.
[33] A toutes fins utiles, voici
ce qu’écrit Freud à Fliess le 3 oct. 1897 : « Ma libido s’est éveillée envers matrem,
et cela à l’occasion d’un voyage fait avec elle de Leipzig à Vienne, au cours
duquel nous avons dû passer une nuit ensemble et où il m’a certainement été
donné de la voir nudam ». Pour un exposé détaillé de toute cette
histoire, voir le chapitre « OEdipe, un mirage dans un wagon-lit » dans Le
crépuscule d’une idole de M. Onfray, p. 135-148.
[34] Notons que l’explication que
donne Mme Roudinesco de cette phobie — à mon avis très discutable ! — relève
tout simplement du conditionnement pavlovien, que par ailleurs elle voue
aux gémonies : de l’association entre deux événements (la présence dans un
train et une excitation sexuelle provoquant la peur) résulte que, par la suite,
le premier événement (être dans un train) évoque automatiquement le second (la
peur de l’excitation sexuelle).
[35] P. Gay, Freud. Une vie, trad., Paris, Hachette,
1995. Cité dans P. Grimbert, Pas de fumée sans Freud. Psychanalyse du fumeur,
Armand Colin, p. 223.
[36] Abrégé de psychanalyse (1940), trad. de la 10e
éd ., revue par J. Laplanche, PUF, 1985, p. 41. En lisant
les lettres de Freud à Ferenczi, on apprend que Freud a vainement essayé de
traiter l’un ou l’autre psychotique.
[37] Mme Roudinesco y déclarait
aussi : « Les psychothérapies c’est la psychanalyse, les thérapies dérivées de
la psychanalyse et les thérapies corporelles » [en 1999, elle ignorait
l’existence des TCC] — « La totalité des psychanalystes sont soit
psychologues, soit psychiatres » [Elle-même et les frères Miller, parmi
des centaines d’autres psychanalystes, n’ont pas de diplôme de psychologue ou
de psychiatre]. Je ne connais aucun(e) autre psychanalyste qui dise autant de
choses fausses (mensonges conscients ?) en si peu de minutes. Un record.
[38] « Une difficulté de la psychanalyse » (1917), OEuvres
complètes, PUF, XV, p. 47. Comme toujours, la traduction des PUF colle
parfaitement au texte. Que ceux qui lisent l’allemand en
jugent : « Der Mensch ist nichts anderes und nichts Besseres als die Tiere, er
ist selbst aus der Tierreihe hervorgegangen » (Gesammelte Werke, XII, p.
8).
[39]
« Psychologie des foules et analyse du
moi » (1921), OEuvres complètes, PUF, XVI, pp. 60, 67.
[40]
Der Mann Moses und die
Monotheistische Religion (1939), G.W., p. 207s.
Trad., L’homme Moïse et la religion monothéiste, Gallimard, 1989, p.
196s.
[41] L. Binswanger, Discours, parcours, et Freud,
Gallimard, 1966, p. 254.
[42]
B. F. Skinner, Verbal Behavior
, Appleton, 1957.
[43] S. Moscovici, La psychanalyse, son image et son public,
PUF, 1961. Nous citons le 2e
éd, 1976. Il y a eu d’autres enquêtes, mais de moindre
envergure : D. Frischer, D. (1977) Les analysés parlent, Stock, 1977,
402 p. ; M. Maschino, Votre désir m'intéresse. Enquête sur la pratique
psychanalytique, Hachette, 1982, 254 p. Sur la question de l’exacerbation
du narcissisme, elles concluent toutes exactement de la même façon.
[44] « De Freud au néo-paganisme moderne », La Nef ,
1967, 3, p. 143.
[45]
P. Rey, Une saison chez Lacan,
Laffont, 1989, p. 156.
[48]
« La morale sexuelle civilisée et la
maladie nerveuse des temps modernes » (1908) Trad. dans La vie sexuelle,
PUF, 1969, p. 43.
[49] « La sexualité dans l’étiologie des névroses » (1898),
OEuvres complètes, PUF, III, p. 230.
[50]
OEuvres complètes, PUF, XIX, p. 210.
[51]
Pour les références et d’autres
citations, voir Le Livre noir de la psychanalyse, 1ère éd., p. 414s ; 2e éd., 2010, p. 359s
[52] « Eine Schwierigkeit der Psychoanalyse » (1917), Gesammelte
Werke, XII, p. 11. Trad., « Une difficulté de la
psychanalyse », L'inquiétante étrangeté et autres essais, Paris,
Gallimard, 1985, p. 186.
[53]
« De la psychanalyse » (1910), OEuvres
complètes, PUF, 1993, X, p. 36.
[54]
Prodiges et
vertiges de l'analogie. Paris : Raisons d'agir,
1999, p. 145s.
[55] On peut se demander si Mme
Roudinesco, l’historienne radicalement « freudocentrée », a lu Adler. Vu ce
qu’en disait Freud, je crains que non. Adler me semble cependant bien meilleur
psychologue — Menschenkennern — que Freud. Ellenberger en a toujours
fait l’éloge.
[56] Voir l’étude réalisée par deux
psychanalystes, Ilse Bry et Alfred Rifkin (1962) : Freud and the History of
Ideas : Primary Sources, 1886-1910. Science and Psychoanalysis , New
York, Grune & Stratton vol. 5, p. 6-36 ou encore Borch-Jacobsen &
Shamdasani, op. cit., p. 92-107.
[57]
Cité dans Borch-Jacobsen &
Shamdasani, op. cit., p. 98.
[58]
Pour des exemples concrets,
voir p. ex. J. Van Rillaer, J. (2003) Psychologie de la vie quotidienne.
Paris: Odile Jacob, chap. 7.
[59] Alain, Eléments de philosophie. Paris, Gallimard,
1941, p. 146s.
[60] Dans je ne sais plus quel
texte, Mme Roudinesco a critiqué la façon dont avait été fait l’index des noms
du Livre noir. Dans l’index de la 1ère éd., Catherine Meyer
n’avait cité que les noms de personnages importants et Mme Roudinesco n’était
donc pas mentionnée. Pour la nouvelle édition du Livre noir , j’ai fait
moi-même l’index et j’ai fait l’« entrée » de Mme Roudinesco, souvent citée.
[61]
Pourquoi tant
de haine, op. cit., p. 17,
[63] Mme Roudinesco les appelle
volontiers « révisionnistes », surfant sur le double sens de ce terme. Pour des
détails sur ses insinuations et la signification de ce mot, taper dans Google :
<Roudinesc.Revisionnisme.doc>
[64] Borch-Jacobsen, M. (2002) Folies
à plusieurs. De l'hystérie à la dépression. Les Empêcheurs de penser en
rond, Chapitre « Une visite aux Archives Freud », p. 253-300
[65] Mikkel Borch-Jacobsen,
communication personnelle (mai 2010).
[66]
Débat avec Michel Onfray, Philosophie
magazine, 2010, n° 36, p. 15.
[67] Il est vrai que dans mon
pays, la Belgique, accuser aussi légèrement quelqu’un d’antisémtisme vous fait
passer pour un parano. C’est vraiment très rare. Ce doit être, comme le dit Mme
Roudinesco, une exception française.
[68]
« Les résistances contre la psychanalyse
» (1925), OEuvres complètes, XVII, p. 135.
[69] dans Le Monde des livres , le 30 octobre 2009. La stratégie a parfaitement réussi pour Jacques
Bénesteau, l’auteur de Mensonges freudiens : Histoire d'une désinformation
séculaire, Wavre, Mardaga, 2002, 400 p.
[70] Des clients de Bernard Madoff
ont payé cher l’utilisation passe-partout du concept d’antisémitisme.
Rappelons ce que l’analyste (financière) Laura Goldman rapporte à ce sujet.
Ayant travaillé 25 ans à Wall Street et ayant connu Madoff à Palm Beach au
milieu des années 90, elle avait eu des soupçons sur la stratégie supposée d’«
Uncle Bernie ». En 2001, deux journaux publient des articles faisant état de
doutes concernant les résultats affichés par Madoff. Aussitôt elle faxe ces
articles à quelques-unes de ses connaissances qui avaient confié leur fortune à
l’escroc. Au lieu d’être remerciée pour des informations qui auraient dû
paraître importantes, elle a été d’emblée accusée d’antisémitisme (Romain
Gubert & Emmanuel Saint-Martin,“Et surtout n’en parlez à personne…” Au
coeur du gang Madoff , Albin Michel, 2009, p. 282s).
[71] Han Israëls, Beck, Ellis sont
des auteurs du Livre noir de la psychanalyse.
[72] On trouvera d’autres exemples
tout aussi stupéfiants de son ignorance crasse de la psychologie scientifique
dans la nouvelle édition du Livre noir de la psychanalyse (Les Arènes,
2010).
[73] A voir toutes les photos de
Freud, on a bien l’impression que la pratique de la psychanalyse n’est guère
épanouissante. En photo, Mme Roudinesco elle-même apparaît toujours avec ce que
les psychologues appellent un « faux sourire », par opposition au vrai, dit «
sourire de Duchenne ». C’est très net sur la couverture du Nouvel Obs du
1er avril.
[74] Pourquoi la
psychanalyse, Fayard, 1999, p. 93-124.
[75] Freud a toutefois laissé ses
quatre soeurs à leur triste sort, estimant que, vu leur âge, elles ne
risquaient rien. Hélas, les nazis seront moins cléments avec elles : elles
mourront en déportation.
[76]
Th. Reik, From thirty
years with Freud, American Book – Stratford Press, 1956. Trad., Trente ans avec Freud. Ed. Complexe, 1975, p. 25.
[77]
Eli Zaretsky, Vie et destin de
la psychanalyse. In : Le Monde. Hors-série. Sigmund Freud.Une vie,
une oeuvre, 2010, p. 72.
[78] Pour des détails, voir F. Kaltenbeck, « Un trauma. Les
psychanalystes et le nazisme », L'Ane. Le magazine freudien, 10, 1983,
p. 27.
[79] Elle écrit : « La France est le
seul pays au monde où ont été réunies pendant un siècle les conditions
nécessaires à une intégration réussie de la psychanalyse dans tous les secteurs
de la vie culturelle, aussi bien par la voie psychiatrique que par la voie
intellectuelle. Il existe donc dans ce domaine une exception française. » (Pourquoi
la psychanalyse, op. cit ., p. 130)
[80]
Voir la revue « Science et
pseudo-sciences » et son site : <http://www.pseudo-sciences.org>
[81] Pour un exposé critique de ces
psychanalyses « new look », voir : N. Gauvrit & J. Van Rillaer, Les
psychanalyses : Des mythologies du XXe siècle ? Ed. Book-e-book, Coll. Une
chandelle dans les ténèbres, 2010, 70 p.
[82] Répétons que le titre de
comportementaliste n’est pas davantage protégé légalement que celui de psychanalyste,
psychothérapeute, graphologue, astrologue…
[83]
Nouvelle suite
des leçons d’introduction à la psychanalyse
(1933), OEuvres complètes, PUF, XIX, p. 156.